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Foucault ou la vérité de la dépression capitaliste


Histoire de la sexualité I, II et III (1-2), Michel Foucault.


Foucault ou la vérité de la dépression capitaliste ?

Le malentendu entre Foucault et le psychanalyse.



Une contradiction apparente dans cette histoire foucaldienne se pose en ces termes : pourquoi y aurait-il finalement une enquête sur l’herméneutique du sexe dans l’Antiquité alors que sa critique de l’hypothèse répressive implique que le sexe a été créé comme discours, pourquoi enquêter en une époque précédente sur ce qui n’est pas censé avoir existé avant la mise en place d’un dispositif particulier ? Qu’y cherche-t-il sinon un nouveau modèle ?


La solution de ce paradoxe est dans les guillemets que Foucault met en évidence autour du terme de sexualité, donc la solution est dans la mise en évidence de la sexualité comme dispositif.

Nous nous demanderons en quoi cette mise en évidence concerne la psychanalyse.


Est ici mise en œuvre l’analyse d’un type de discours, celui du pouvoir-savoir, qui est aussi l’objet de son enquête : quel régime de pensée nous a assujetti ?

Cette analyse critique profondément originale a fécondé, comme le discours sur le sexe, des sociétés entières d’intellectuels : contre le discours sur le sexe s’érige le discours sur le corps, nous nous demanderons de quel corps il s’agit.


Famille-patrie,

Ou les Autres et le « se ».


Dire que la psychanalyse appartient à l’histoire de l’hypothèse répressive, voire à la répression elle-même, revient à parler uniquement en historien, car la psychanalyse ne relève pas de ce que l’on pourrait appeler la culture du Prince. Il en appelle comme de juste à « se passer du personnage du Prince » (I 128), quant à la question de l’inceste par exemple : « Si l’on admet que le seuil de toute culture c’est l’inceste interdit, alors la sexualité se trouve depuis le fond des temps placée sous le signe de la loi et du droit » (I 145).


Or lorsque Lacan, et si cette insistance n’est pas destinée à répondre à la critique foucaldienne, elle en fait fonction tout aussi bien, lorsque Lacan subordonne l’interdit à l’impossible (SVII), le symbolique au réel, d’un point de vue logique d’une certaine façon, il s’excepte comme théoricien de ce que critique Foucault et sort la psychanalyse de l’historicité.


Foucault ressaisissant son projet (II 41) le définit comme histoire de la subjectivation morale.

Or, concernant le rapport à soi, le « se » impliqué par le terme de subjectivation, la psychanalyse a non seulement beaucoup à en dire mais ce n’est rien moins que le cœur de son travail : qu’est-ce qui fait « se », jusqu’au dynamitage du « se » par Lacan, car, de sujet se ressaisissant, se fermant sur lui-même, la cure psychanalytique n’en laisse que des miettes, qu’un bout d’objet et c’est encore trop dire.

Le « se reconnaître comme sujet sexuel » (II 12) n’est jamais refermé dans l’expérience psychanalytique, comme expérience et non comme discours théorique. Et c’est bien quelque chose d’une expérience que Foucault va opposer aux discours.

L’inconscient, par définition, comme produit dans et par l’expérience psychanalytique, ne produit pas du même coup les conditions d’un rapport fixé pour toujours à soi.

L’inconscient tel que Lacan a permis de le redécouvrir à la suite de Freud est ce qui s’ouvre et se ferme selon une pulsation temporelle, pas un ensemble de contenus prémâchés, préformés et prédéterminés.


Comme le montre Lacan dans le séminaire sur l’Acte analytique, le « se » de ce qu’on appelle « sujet » de l’expérience analytique n’existe pas et c’est seulement par un abus de langage que l’on parle de « sujet » en psychanalyse.

Le sujet en analyse ne se ferme pas, non sur le mode du Dasein ouvert à l’ex-sister, mais sur le mode d’un éphémère éclat, d’un work in progress, pourrait-on dire. L’on ne peut pas être plus éloigné d’une position familialiste. Ce qui ouvre sur Deleuze.


Par exemple le fantasme Ein Kink wird geschlagen est reconstruit, pas déposé là quelque part, et le « sujet » en analyse n’en a jamais le souvenir : le sujet y disparaît, y est disparu, n’y paraît pas, comme Lacan y insiste souvent.


D’où : 1/ ce fantasme dépasse de loin la question de la morale ou du sado-masochisme, en tant qu’il recèle la douleur de l‘exister lui-même, 2/ ce qu’il révèle du « sujet » appartient à l’au-delà du principe de plaisir, qui est la grande subversion de l’œuvre freudienne, qui dessine au contraire de ce que peut en laisser penser un certain discours sur la psychanalyse la voie de la pensée de ce qu’il en est du corps et de ses plaisirs, qui est éventuellement la source du dépassement de toute question de la loi et de sa transgression.


C’est avec cet inestimable outil de pensée que peut se saisir par exemple l’expérience du corps de l’acteur pornographique Rocco Siffredi que nous transmettent Thierry Demaizière et Alban Teurlai dans leur documentaire Rocco de 2016. Nous y reviendrons.


La subjectivation étudiée par Foucault est ce en quoi les individus sont amenés à « se déchiffrer, à se reconnaître et à s’avouer comme sujets de désir » (II 12).


Ces trois éléments ne sont pas du tout du même ordre pour la psychanalyse : « se déchiffrer » peut relever du chiffrage de l’inconscient en effet, chiffre qui demeure secret sans recours à l’analyse, « se reconnaître » ouvre la question de l’identification, champ labouré lourdement par l’analyse.

« s’avouer » justifie à soi seul de lire Foucault. En effet, l’on peut se poser la question de le lire puisqu’il relègue la psychanalyse à un discours passéiste et mort, en tant que discours de pouvoir. Or, que le sexe soit objet de confession (I 82) ainsi que la possibilité d’identifier la cure à un confessionnal, font signe vers le rapport de pouvoir qui se trouve possiblement impliqué par le dispositif analytique : la cure devient confessionnal si l’analyste demeure sujet en question dans la cure - alors que seul l’analysant doit l’être (SXV) - et si l’analyste maintient son identification à l’Autre.

La dimension de l’aveu qui peut coller aux basques de l’analyse est donc très importante à relever et lire Foucault en libère.


Nous disons : si l’analyste maintient son identification à l’Autre ou aux Autres.


Car, précisément, les Autres semble constituer le registre qu’analyse Foucault, les Autres, et non le sujet de l’expérience analytique.


D’abord, parce que ce sont les Autres qui constituent le registre de la loi morale et du surmoi tel que le construit Freud dans Pour introduire le narcissisme, à savoir les paroles/discours des parents/éducateurs/société.

Ce sont ces paroles qui font du sexe l’objet de l’aveu. Mais ceci est une détermination du sexe issue du surmoi lui-même, pas de la théorie analytique comme pensée en mouvement !

Ce sont celles qui se rencontrent au cours du cheminement de l’analyse, elles n’en constituent pas pour autant le dernier mot.

Par exemple cette patiente prend conscience (se « déchiffre ») qu’elle a pris de son père le rapport conflictuel et culpabilisé au travail à effectuer : toute tâche devient un combat interne intense et pénible, se réfléchissant elle croit alors « voir son père », toujours insatisfait, à porter plus qu’il n’en peut porter après 20 ans de bons et loyaux services. Il est clair que ce cernement d’une identification moïque ne suffit pas à la défaire.


Ensuite, si les Autres cités dans D’une question préliminaire appartiennent bien à l’histoire des accidents du désir de l’Autre à travailler en analyse, faisant du sujet autre chose qu’un sujet strictement individuel, un sujet appartenant en effet en quelque manière à un champ historique, l’éthique de son érotologie comme le dit Lacan dans le SXI vise tout de même disons cet être-là, dont la détermination finale par Lacan a tout à voir avec le mode de jouissance, donc, aussi avec le réel et non pas seulement avec le symbolique, avec l’Autre. Ce qui ouvre aussi sur Deleuze.


Ainsi, ce sont bien les paroles des Autres qui permettent à l’individu de « prêter sens et valeur » (II 10) à ce qui l’agite : sens et valeur, vecteurs du Prince, sens et valeur qui vont se trouver mis radicalement en question dans l’expérience de la cure, et non pour être remplacés par d’autres.


C’est moins le sujet du désir que le sujet qui se conduit, et qui se pratique, que regarde Foucault.


Corps contre-désir,

Ou manifeste de la sauvagerie.

Ont lieu en effet des « pratiques de soi », des genres de garçons avec lesquels il ne faut pas coucher dans l’Antiquité aux poupées japonaises d’aujourd’hui, quasi-vivantes, mais l’expérience psychanalytique ne concerne pas une conduite objectivée, comme le ferait la criminologie anglo-saxonne d’un comportement délictueux, elle concerne la singularité d’un arraisonnement inconscient.


Le passage du sexe-désir au corps-plaisirs (« Contre le dispositif de sexualité, le point d’appui de la contre-attaque ne doit pas être le sexe-désir, mais les corps et les plaisirs » I 208) est tout sauf étranger à ce que développe la psychanalyse comme cure et comme pensée : le corps tel que Lacan le pense, y compris et au-delà – ou pas - du corps de la pulsion freudienne, le corps de la substance jouissance, accroché à la satisfaction mortifère et seul accroche du sujet au langage, ce corps n’est pas celui de la morale bourgeoise dans laquelle Foucault range la psychanalyse, et il ne suffit pas de dire que Lacan sauve la psychanalyse, jusqu’aux élaborations du corps qui lâche, qui excèdent peut-être la clinique et le désir freudiens : la pensée de Lacan prolonge la pensée freudienne et dit une vérité de Freud. La clinique borroméenne, pour ce qui la concerne, est tout à fait dans le registre de l‘immanence des penseurs des 70’.


La question que pose Foucault et qui fait tenir sa recherche ne peut pas ne pas être entendue dans sa particularité elle aussi : demander pourquoi le comportement sexuel fait l’objet d’une préoccupation morale (II 17) indique un pas de côté relatif à la position du névrosé bon teint. Il en va de même quant à l’effort de penser le sexe sans la loi (I 119).


Ce que tue le dispositif de la « sexualité » trace la voie de ce qui doit prendre sa place : ce qu’il y a « d’étranger, d’irréductible, de périlleux » (I 145) désigne très adéquatement l’égarement du corps délié de la castration.


1/ Il peut s’agit de la jouissance Autre pensée par Lacan, Autre car non phallique, la question est de savoir si ce qui est expérimenté par les corps et les plaisirs relèvent de l’expérimentation de la tension/au-delà du principe de plaisir ou d’encore Autre Chose ou d’un aplatissement du sexuel congruent avec la pensée du pouvoir sans le roi, donc d’un tout autre modèle.


A cet égard, la platitude du sexe serait une excellente manière de s’opposer à la construction par les sociétés modernes du sexe comme « le secret » (I 49).


La platitude du sexe est tout aussi bien celle du sexe naturel en tant que nécessaire à la survie de l’espèce (II 66), sa naturalité mettant les Grecs en effet dans une période qui précède la faute et la culpabilisation des actes sexuels, mais l’on peut également y voir, si l’on considère l’époque du surgissement de la pensée de Foucault ainsi que là où elle sera féconde, aux USA, un affadissement de cette pratique, un affadissement qui va jusqu’à l’annihilation de tout enjeu, qui va jusqu’au devenir zombie du sujet sexuel.

En effet, la platitude du sexe, est figuré dans de nombreux œuvres cinématographiques et littéraires des années 90’ (Greg Araki, Larry Clarck, Bret Easton Ellis, Tao Lin,…).

Elle est, d’une part, le produit direct de l’american way of life qui, exactement comme l’enjeu principal de l’interprétation des rêves selon Artémidore, vise avant tout la prospérité, non celle de la puissance d’être, mais la prospérité strictement sociale (III 34), ou capitaliste, d’où la signification d’abord sociale du rêve (III 39), qui s’appuie sur l’ambiguïté signifiante du sexe et de l’économie : la peste ne peut, à l’inverse, prospérer sur un terrain si vide de culture de soi – encore une question bactériologique ou virale -, y compris la peste qu’est la psychanalyse en tant que peste – et non en tant que bras armé du pouvoir politique ou pharmaceutique.

L’american way of life atteint des sommets de réussite dans les 60’, date à laquelle surviennent concomitamment les prémisses de cet affadissement de l’enjeu sexuel, c’est-à-dire de l’enjeu de ce qui dérange l’ordre économique de la prospérité et le fait déraper : ces prémisses apparaissent dans l’œuvre de Richard Yates, dans Revolutionary road par exemple (adapté au cinéma par Sam Mendes), ou dans les 60’ reconstruites par Matthieu Weiner dans la série Mad Men. Le vide est l’exact envers du cours économique. Non le vide abrupt et brutal du pas-de-sens mais autre chose, Aure Chose ? Le risque mortel de la peste psychanalytique n’existe pas pour cette société, le vide est amoral en effet et zombifie sans douleur.


Ce modèle peut-il être l’impensé de Foucault.


L’on comprend que ce qui selon Foucault et sa lecture de la psychanalyse accompagne la démonisation chrétienne – et non socratique - du sexe est la fixation structurale du désir : il dit non à la structure bisexuelle du désir (II 245), à la structuration du désir en tant que celle-ci fixerait une fois pour toutes disons l’objet visé par la pulsion ou, dit de façon post-moderne, la pratique de sexe.


Cependant, surgit immanquablement et immédiatement un malentendu, pas source de rire comme chez Guitry ou Woody Allen, entre les prégendus tenants du sexe. Entre Foucault et la psychanalyse s’érige un malentendu bien plus important car peut-être sans fécondité : l’objet qu’il s’agirait, dans la cure, d’assumer d’en avoir fait ce qu’on désigne parle terme de choix, n’est en fait, en rien, pour la psychanalyse, comparable à cet total pseudo-total appelé socialement et d’abord de l’extérieur homme ou femme (Trois essais : l’enfant perd le sein lorsqu’il saisit la mère comme objet total).

En conséquence de quoi, parler de fixation d’objet - formule impliquée par ce que critique ici Foucault (baiser les hommes comme objet et/ou les femmes comme objet) - ne veut pas dire la même chose pour la psychanalyse et pour la société des petits hommes dans les petits hommes de la pensée naturaliste issue de la théorie de la connaissance, donc a fortiori pour la pensée de la spiritualité chrétienne, qui s’adresse à l’instance moïque (Celui qui est soumis à la tentation).


Qui plus est, la structuration du désir par cet objet bien invisible et difficilement saisissable par l’entendement quotidien qu’est l’objet a, véritable indexation de la détermination du désir, déjà à ciel couvert dans la dialectique pulsionnelle élaborée par Freud au cœur des destins de pulsions, est peut-être elle-même autre chose qu’une fixation sans passé ni avenir, sans quoi jamais rien ne pourrait être modifié au terme de la cure !


C’est la question du corps que nous retrouvons ici : loin que le corps foucaldien ici encore insuffisamment dessiné s’oppose au corps pulsionnel de la pensée psychanalytique, il est fort difficile de ne pas retrouver des traits conceptuels majeurs de la pulsion freudienne dans la description par Foucault de ce qui est finalement visé par ce qu’il appelle la culture de soi, à savoir le « point de passage des agitations et des troubles » (III 79) entre le corps et l’âme. Très belle définition de ce qu’est la pulsion.


A quoi s’ajoutent la mise en évidence et l’insistance sur l’excès quantitatif (II 62), qui seul constitue le caractère pathologique pour ces Grecs-ci - de ce que Kant comme précisément comme le pathologique – à savoir la démesure des appétits corporels.

Il est à remarquer que Saint Augustin n’aurait peut-être rien à redire à l’injonction sadique-anale de « maîtrise » et de « retenue » appliquée lors du domptage des chevaux pulsionnels (II 123). Fascination de l’analité et du phallique. Que penser de l’appropriation par son rapporteur de cette fixation obsessionnelle sur l’idéal de maîtrise ?


De cet excès quantitatif à, d’une part, la caractérisation par Freud du pathologique comme indexé essentiellement sur une mesure quantitative et, d’autre part, pour les anciens comme pour la psychanalyse, la définition du sexuel comme excès, devenant du qualitatif, relativement au besoin (II 70), enfin, la pensée d’un emballement ou débordement inhérent au pulsionnel et au plus-de-jouir, il n’y a guère de fossé infranchissable. A la définition des aphrodisia par Foucault : « aphrodisia, c’est-à-dire des actes voulus par la nature, associés par elle à un plaisir intense et auxquels elle porte par une force toujours susceptible d’excès et de révolte » (II 123), la psychanalyse ne trouverait rien à redire.


2/ Ce qu’il y a d’intéressant est que Foucault prône « l’égarement » du savoir tout aussi bien, ce qui le conduit à remanier son projet initial : cet égarement est produit par la curiosité « qui permet de se déprendre de soi-même » (II 15), ce qui peut tout à fait correspondre à l’abîme ouvert dans l’individu par l’inconscient.


Si c’est uniquement le dispositif « sexualité » qui a produit le « sexe » comme lieu de la vérité (I 76), l’on peut se demande pourquoi il faudrait remplacer ce dispositif par quoi que ce soit d’autre : pourquoi mettre quelque chose à la place, ne suffit-il pas de mettre le sexe – de quoi qu’il s’agisse - hors discours ?


Si une touche délicatement paranoïaque caractérise l’hypothèse générale sur le rapport de la société et du sexe (« Comme s’il lui [la société] était essentiel que le sexe soit inscrit, non seulement dans une économie de plaisir, mais dans un régime ordonné de savoir » I 93), demeure une vraie question posée à la psychanalyse : la psychanalyse est-elle un moyen de contrôle du sexe ou du corps ?


Cela pourrait être évident pour le psychotique (contrôler/border ou accompagner la transposition de sa jouissance) mais, pour le névrosé lui-même, le mode actuel de la demande envers l’analyse (réparer, éliminer ce qui échappe, ce qui ne fonctionne pas, notamment ce qui empêche d’être un bon petit soldat du capitalisme, corvéable à merci dans un nihilisme ou une bêtise abyssale) ne fait que reprendre le piège dans lequel est tombée la psychanalyse anglo-saxonne, à l’opposé de la peste que Freud pensait apporter aux USA, il s’agit d’une demande de contrôle et, si c’est par un malentendu sur ce point que les patients nous sont adressés, et que ce malentendu n’empêche pas le cours du travail, l’on peut se demander si l’idée selon laquelle des économies peuvent être réalisées sur le chemin qui conduit à la satisfaction ne restaure pas quelque chose de l’idéal.

Demeure l’angoisse.


Que dire de l’affirmation selon laquelle le sexe est selon le discours à combattre la « clef universelle » de notre vérité car si nous y voyions le fruit d’un regard particulier, et posons, à la suite des possédés de Dostoïevski, que si Dieu est mort, alors tout est permis, fusse la plus folle des jouissances, alors nous serons mis dans le camp de la répression, qui saisit tout en fonction de la fonction paternelle et de la morale interdictive.

Il est tout de même difficile de faire l‘impasse sur le rapport entre l’hypothèse du sexe comme clef universelle et la psychanalyse, étant donné la clef imaginaire et symbolique qu’est le phallus pour la pensée psychanalytique.

La psychanalyse opère certes une sorte d’« autonomisation du sexe par rapport au corps » (I 155) que reproche Foucault à l’hypothèse répressive.


Cependant, cette autonomisation en psychanalyse est celle, non d’un plein, mais d’un creux, et d’abord d’un creux dans l’image : cette élection est celle d’une absence (VIII : reprise par Lacan du manque du phallus dans l’image d’Abraham). L’on ne parle donc pas du même sexe que, disons, la religion chrétienne ni même de l’appréhension quotidienne, il ne s’agit ni du même corps, ni de celui du Christ ni de celui du pénitent.

L’inclusion par Foucault d’une pensée inséparable d’une expérience formatrice de l’inconscient et essentiellement non normative dans l’histoire des idées qui produit ce malentendu.



En quoi le discours de Foucault concerne la psychanalyse ?



En quoi cette mise en évidence du dispositif de « sexualité » concerne-t-elle la psychanalyse ?

Car Foucault enquête au sujet de choses (rêve, désir, sexualité, plaisir, interprétation, sens…) dont la psychanalyse a abondamment parlé et il fait comme si elle n’existait pas la plupart du temps : parler de l’interprétation des rêves, comme question, sans intégrer la psychanalyse est presque louche (dire cela peut renforcer sa critique de la psychanalyse comme procédant de telle sorte que tout et son contraire tombent dans l’ère du soupçon).

Que la psychanalyse ne soit pas une technique d’existence (III 12) peut d’ailleurs se discuter, car en tant que formation de l’inconscient et modificatrice du rapport au mode de jouissance, elle pourrait parfaitement en relever.


Tout dans ce début de tome III concerne la psychanalyse !

Aussi bien la question du déchiffrement, que celle de la détermination de la différence des sexes ou la fonction phallique, la parole des dieux durant la nuit ou le rêveur comme ce sur quoi porte l’interprétation.


Le déchiffrement et la fonction phallique :


Le déchiffrement apparaissait dans la formule « se déchiffrer, se reconnaître, s’avouer » (II 11). Il s’agit d’un terme très important de cette Histoire.

Le déchiffrement est toujours soupçonné par Foucault d’appartenir au régime du soupçon généralisé qui diabolise le sexe (ex : « débusquer les traces secrètes » du désir malin II 54) ou à la structure donc à l’enfermement dans une identité au moins rigide, si ce n’est mauvaise (ex : interpréter comme de l’homosexualité latente le fait d’aimer trop de femmes II 115).

Or, pour la psychanalyse, ce n’est vraiment pas parce que l’on ne couche qu’avec des femmes que l’on peut être considéré comme étant hétérosexuel !! Lorsque Foucault discute de l’appréciation antique de la pratique homosexuelle il emploie l’expression suivante « la singularité d’un désir qui ne s’adresse pas à l’autre sexe » (II 250) : mais la pensée de l’objet a a pour conséquence que le désir ne s’adresse jamais à l’autre sexe !!


D’abord, ce qu’il oppose à ce soupçon n’est pas moins déterminé par l’inconscient que les hypothèses psychanalytiques, inconscient signé au moins par le déclenchement du rire dans cet exemple, typique : « quand on rira des philosophes qui prétendent, des garçons, n’aimer que les belles âmes, on ne les soupçonnera pas d’entretenir des sentiments troubles dont ils n’ont peut-être pas conscience, mais tout simplement d’attendre le tête-à-tête pour glisser leur main sous la tunique du bien-aimé » (II 57).

Que ce rire, qui signe le goût partagé signe une quelconque amoralité peut être questionné. D’où pourrait provenir un rire non motivé par l’existence d’un secret ?

Il rappelle bien plutôt le rire de Tony Duvert.


Ensuite, ce que Foucault oppose à la « typologie », celle de la chrétienté comme de la psychiatrie ou psychanalyse – indistinctes ici - , à savoir le « goût » (II 247), n’est opposable à la pensée psychanalytique que si 1/ cette « affaire de goût » ne dit rien de l’être de celui qui goûte – fusse-t-elle la seule chose qui dise quelque chose comme son être, et que si 2/ la vérité à laquelle cette typologie prétendument se réfère relève de l’ordre de l’essence et non du semblant, ainsi que l’a montré Lacan.

Or c’est Foucault qui semble tenir à la vérité en l’occurrence : il ne vise rien de moins que de produire une analyse qui serve « une histoire de la vérité » (II 13), formule qui conserve ce signifiant dans toute sa solidité.


Foucault fait comme si la Traumdeutung, inattaquable et fondamentale œuvre freudienne, sauf pour Onfray, n’existait pas, lorsqu’il analyse les procédures de déchiffrement (III 18) d’Artémidore, qui institue une techné, oui, Freud aussi en instaure une. On retrouve pourtant chez Artémidore l’usage des résonances de la langue (ex concernant le bordel et le cimetière, appelés tous deux « lieu commun » III 30), ou du sexe et de l’économique.

On retrouve surtout dans la pensée grecque que nous rapporte Foucault, en premier lieu, le mur de l’impossible lorsqu’il s’agit de déterminer la différence sexuelle autrement que par les déterminations du passif et de l’actif (des « valeurs de position » II 64), impasse freudienne que dépasse Lacan par les formules de la sexuation, en second lieu, la suprématie phallique, le phallus comme signifiant universel ontologique (« dramaturgie de la pénétration et de la passivité » III 47) – l’on n’a autant d’être qu’on participe de la puissance phallique.


La question essentielle est en effet « qui pénètre qui » (III 43) et cette donnée de l’être est consubstantiellement une donnée sociale : ce qui se voit dans les considérations déconsidérantes appliquées à l’épouse (« la forme politique de la relation entre mari et femme sera l’aristocratie : un gouvernement où c’est toujours le meilleur qui commande » II 23), l’être ne devant pas déborder de la condition.

La pleine finalité naturelle concernant le rapport sexuel entre homme et femme veut la position du face à face, « l’homme étant allongé au-dessus de la femme » car elle seule assure la maîtrise « de tout le corps » de la femme (III 35) : peut-on dire avec davantage d’ingénuité (est-ce l’innocence du rire de ceux qui aiment plonger leurs mains sous les tuniques ?) la pleine acceptation de rapport maître/esclave de la dialectique phallique imaginaire et la prétention du phallus à être du côté de la totalité et de la complétude ? Foucault, opposant le discours grec ainsi fait au discours de la psychanalyse signe l’indexation de son propre discours à la suprématie phallique.


C’est bien tout autre chose que propose la psychanalyse, bien subversive à cet égard. Elle donne en effet les moyens de déconstruire et se passer de l’idéal de maîtrise au sens de cette aristocratie-là, y compris d’abord et avant tout sur le plan du statut social du psychanalyste que Lacan, par Freud délivré du souci de fonder la matière psychanalyse, a pu délier de la question hiérarchique, si ce n’est comme totem en sa personne, à tout le moins comme pensée, et c’est bien là l’essentiel, en tout cas pour qui sait lire. Son aristocratie (La légende noire de Jacques Lacan de Nathalie Jaudel) à lui dessine un style : « Ne m’imitez pas ! »


La parole des dieux pendant la nuit :


Les dieux visitent nos songes, le rêve est ainsi un « oracle » (III 13), oui, l’on pourrait dire avec la psychanalyse que les pulsions que sont le dieu de la chasse, de la guerre ou de l’amour nous visitent dans les rêves comme dans toute formation de l’inconscient. Prendre ces formations que sont les rêves pour des vérités du futur branche directement l’individu sur l’Autre et non plus sur le rapport à soi.


Artémidore déchiffre le rêve en interprétant l’auteur du songe car « l’acteur sexuel » représente dans le rêve « l’auteur du songe » (III 27) :


Que l’âme « ruse » (III 22) chez ceux qui savent interpréter leurs rêves indique bien une division du sujet à cerner. Cette division indique une faille dans la volonté apollinienne de maîtrise de soi, jamais davantage à ciel ouvert que dans l’énoncé platonicien suivant : « les hommes réussissent ce qu’ils entreprennent « quand ils réfléchissent et appliquent leur esprit à ce qu’ils font » » (II 163) – l’on est aux antipodes de l’éclat du vrai de l’acte manqué par exemple, sans parler, mais c’est en parlant du premier que Lacan introduit aussi le second, de l’acte analytique.


Le refus de la division du soi (par exemple : ces éléments « semblent indiquer la césure du sujet » mais en fait non, nous dit Foucault III 85) statufié dans sa volonté de maîtrise se dessine exemplairement dans l’évacuation de la possibilité de faire le mal en le sachant : « les intempérants sont toujours en même temps des ignorants » (II 116), ce qui éliminé par là même est à la fois le plaisir de la transgression, le choix pervers, la jouissance maligne, mais également l’égarement dans la jouissance, dans la jouissance et non dans le plaisir, distinction non envisagée ici même. Passer sa main sous la tunique d’un jeune homme ne serait pas intempérant, sous celle de trop de jeunes hommes, en revanche, oui ?


Par exemple, il est difficile de ne pas voir dans le stage de pauvreté fictive prôné par Sénèque (I 83) un trait de jouissance surmoïque, et non une simple expérience morale, ou dans la visée « d’une jouissance sans désir et sans trouble » (III 94), une mise en forme du sommet de l’ontologie aristotélicienne qu’est le premier moteur, toujours en acte, donc une acceptation pathologique de l’idéal.


Si l’on considère l’économie de cette histoire, cette analyse de l’analyse des rêves par Artémidore ne semble rien apporter de plus à ce que Foucault a déjà expliqué de l’expérience morale classique des aphrodisia (III 51 : le livre d’Artémidore ne fait qu’attester de la « durée » et de la « solidité » de cette expérience), donc l’on peut se demander pourquoi cet examen se révèle nécessaire selon Foucault.

Serait-ce pour montrer, sur le terrain pourtant le plus solide de la psychanalyse, à savoir les rêves, qu’elle s’égare et ne subsume pas toute la vérité possible ?

Car le titre du chapitre est mensonger : l’on n’y rêve pas de ses plaisirs mais bien plutôt de son économie domestique et seigneuriale, la question du plaisir, comme opposée à celle du « sexe » n’est pas tellement en jeu ici.

Il semblerait plus propice à l’intention du philosophe de revenir sur la question du recoupement entre le rapport au sexe et les interdits fondamentaux de la société antique (II 32 « ces thèmes d’austérité ne coïncident pas avec les partages que pouvaient tracer les grands interdits sociaux, civils ou religieux ») car c’est là le plus puissant argument en faveur de la thèse de l’originalité de la pensée antique concernant les actes sexuels. Or il n’en est pas question.


L’on peut se demander en quoi montrer la progression de l’instauration de la problématisation du rapport à soi sert sa grande hypothèse, à savoir que le rapport au sexe ne provienne pas de la répression et de son histoire. De quel sexe est-il question ? Trouver un nouveau modèle ? Le modération, foucaldienne, non !


C’est l’enjeu de la partie sur la culture de soi : montrer l’existence de nouvelles « inflexions » (III 51), qui vont dans le sens de l’apparition d’une inquiétude / sévérité / tendance à l’austérité/intensification du rapport à soi (III 55- 57) et, très important : le lien du souci de soi et des pensées/pratiques médicales (III 75) : dans ce dernier point ne peut-on voir l’acquittement définitif de la psychanalyse de la sphère de pensée critiquée par Foucault ?!

L’inflexion est chose subtile : il est question d’accent de plus en plus marqué (III 93), en somme cela pourrait apparaître comme relevant d’un certain arbitraire démonstratif, or il faudrait au contraire analyser la langue et les modalités de ce discours, ce qui est presque impossible en l’occurrence.

Cet arbitraire est peut-être le prix de la négation de l’apport de la psychanalyse sur ces questions, et la négation de la division.


Par ailleurs, les discussions concernant la distinction entre l’idéalisme antique et l’idéalisme chrétien ne sont pas à même de démontrer efficacement la pertinence de ces développements historiques : les distinctions entre imperfection et maladie, entre inspection et relation judiciaire (III 86) semblent peu argumentées, quel enjeu de la différence, vraiment, entre le choix de moyens convenables à la sculpture éthique de soi et la découverte de sa culpabilité , à part une différence politique majeure, à savoir que le premier cas fonde la distribution aristocratique des rôles sociaux alors que la seconde nivelle tout et tous dans une médiocrité devant la divinité source de la loi ?


Il ne serait donc pas question de morale, mais de politique.


Si l’on considère la distinction d’avec ce qui est moyen, c’est-à-dire le contraire même de la singularité visée et pensée par la psychanalyse, si donc l’on pense en terme de style (il s’agit dans la pensée antique non de faute et de culpabilité mais d’un « style d’activité » III 50), qui caractérise le rapport aristocratique au monde, la psychanalyse n’est pas l’ennemi de la position foucaldienne.


L’on voit bien que Foucault veut montrer que le rapport interne à la loi n’est pas structural dans les questions du corps et ce qui l’agite, il s’agit donc de penser ses actes sans le recours à la transgression, sans dieu ni son envers, de se débarrasser du surmoi. Qu’est-ce que cela sert-il ?

Cette désignation fictionnelle sert son hypothèse principale en ceci qu’elle casse d’une autre façon encore la fonction attribuée à la répression mais, que la morale judéo-chrétienne soit une fiction (II 323) laisse impensée l’existence de tant d’obsessionnels…



Séverine Thuet

Le 27 Novembre 2019







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