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La chair d'Irma et le désir des analystes.

severinethuet


A PROPOS DE LA RELECTURE PAR LACAN DE L’ANALYSE DU REVE DE L’INJECTION D’IRMA DE ET PAR FREUD


CARTEL DU 4 OCTOBRE 2011



Il s’agissait, lors de la dernière séance de notre cartel, de saisir en quoi l’analyse, par Freud, du rêve de l’injection d’Irma, parvient à un problème que saisit Lacan afin de construire un élément de la notion de réel. Car il fut posé que l’ombilic du rêve, défini par Freud lors de cette analyse, permet de mettre en évidence l’excès du réel sur le symbolique (quelque chose échapperait aux possibilités de l’interprétation et aurait à voir avec le réel).


En quoi la reprise de l’analyse de ce rêve permet-elle à Lacan de cerner le réel à ce stade de son enseignement et comment ?



Le rêve de l’injection d’Irma de Freud démontre la théorie de Lacan quant à la nature imaginaire du moi (c’est l’objet du séminaire II) et met en évidence la nécessité d’un élément tiers au sein de la relation entre deux moi, à savoir le symbolique ou le grand Autre (cf le troisième chapitre de ce séminaire - définition du grand Autre-, qui est l’horizon de l’étude du rêve d’Irma par Lacan).


Autant dire que la reprise de cette analyse et l’analyse de cette analyse permet de démontrer le décentrement du sujet relativement au moi (SII 179), ce qui est l’essentiel de son effort à ce moment-là.


L’interprétation de ce rêve lui permet aussi de défaire la compréhension ordinaire de la régression (comprise comme régression réelle du moi).


A partir de l’apparition de la chair informe (SII 186) du fond de la gorge d’Irma, c’est-à-dire de la révélation du réel innommable – objet d’angoisse par excellence (SII 196) (cette apparition est rapportée par Lacan à celle de la tête de Méduse, qui produit l’effroi, effroi devant la castration, effroi lié à la vue de l’organe génital maternel. Cet effroi transforme le spectateur en pierre, ce qui est un autre mode de figuration de l’érection consolatrice (OC XVI 161), à partir de cette apparition donc, il n’est plus question de Freud (SII 187).

S’opère alors une décomposition de la fonction imaginaire du moi de Freud (SII 197) : à la place du moi de Freud apparaissent le docteur M, Otto, Léopold.


Effroi et érection : l’objet d’angoisse est aussi l’objet du désir.


Et ce n’est pas la régression mais la structuration du rapport de l’homme à l’objet de son désir, structuration fondée par le stade du miroir (SII 199), qui explique la décomposition imaginaire qui suit la révélation du réel (Lacan explique ici que si l’homme se saisit il perd l’objet et vice versa).

La théorie de Lacan rend donc raison de la structuration du rêve inaugural de Freud (qu’il y ait décomposition imaginaire après la révélation du réel). Ce qui met en évidence la continuation et la cohérence de ces deux pensées à ce moment-là de son enseignement.


C’est aussi très audacieux : ma pensée prolonge, fonde en théorie, et justifie celle de mon prédécesseur, jusqu’à ses rêves, dit Lacan.


Notons que le caractère horrifique de l’objet du désir (des morceaux de chair informe et blanchâtre) préfigure la définition de la Chose comme ce qui, de l’Autre primordial, est de sa nature étranger, le non-symbolisable (SVII) et qui va persister dans le désir.


A première vue, l’ombilic du rêve en tant qu’il désigne le point où le rêve devient insondable (OC XVI 246) ne semble pas se rapporter au réel innommable révélée par le fond de la gorge d’Irma, donc pas au réel que l’on cherche à saisir.


Mais le point qui arrête les associations de Freud est lié aux deux femmes qui sont comparées à Irma : la femme de Freud et une autre malade, qui serait plus docile qu’Irma.

Et ces trois femmes sont rapportées par Lacan au thème des trois coffrets (SII 189)., traité par Freud. Ce thème présente la supériorité de la femme mutique (Cordélia dans Le roi Lear par exemple), qui représente la mort.


Or, précisément, Freud ouvre de force la bouche d’Irma dans le rêve, elle qui ne parle pas suffisamment pour faire aboutir la cure selon Lacan (SII 186), bouche dont l’avalement mortel équivaut à l’organe génital féminin castrateur (cf l’interdiction faite à la mère de réintégrer son produit).


La réalité sexuelle (la femme de Freud, la chair interne d’Irma) est ainsi liée dans les deux cas à la mort (transformation en pierre dans le cas de la tête de Méduse, déesse de la mort qu’incarne la femme muette dans le cas des trois coffrets), mort présente également comme menace ayant pesé sur la tête de la fille de Freud, mort qui rôde au fil des associations de son rêve de médecin travaillé par son pouvoir.


La triade des trois femmes, comme celle des trois hommes qui prennent la place du moi freudien, rappelle la structure de la formule-solution du rêve (SII 190), qui figure la place du sujet freudien en AZ (SII 202), équivalent de la lettre volée (SII 231), qui modifie le monde selon celui qui la détient, en l’occurrence qui apporte à Freud la solution de sa recherche sur le rêve/la cure/la névrose.


Car la clé est la même pour les trois : il s’agit de l’inconscient. Une fois le moi décomposé, le sujet apparaît, le sujet au sens lacanien, identifié à AZ.


En effet, Freud déduit de l’analyse de son rêve que le rêve est la réalisation d’un désir, celui de ne pas être coupable de l’absence de guérison d’Irma. Lacan montre qu’il est avant tout la réalisation du désir de savoir de Freud (SII 203) et que c’est ce dont il doit être pardonné (et non de l’échec entendu de la bouche d’Otto par Freud le jour du rêve).


Le rêve lui donne la solution du rêve, qui est aussi celui de la cure et de la névrose : c’est aussi la solution au problème d’Irma et la solution injectée par Otto à la fin du rêve ! (SII 181)


Car le problème de l’analyse du rêve de Freud par Freud est que le désir nommé par Freud comme étant au fondement du rêve est conscient (la synthèse du cas d’Irma effectué par Freud avant de se coucher et de faire ce rêve prouve le caractère conscient ou préconscient de ce souhait), celui d’être innocenté de l’absence de guérison complète d’Irma, alors que le désir du rêve est censé être inconscient (SII 183) : c’est de cette contradiction que répond l’analyse de Lacan.


Le sujet, une fois son moi diffracté en ses différentes identifications, désigne, par la formule finale, le mot (la formule chimique), c’est-à-dire le symbolique, c’est-à-dire l’inconscient, comme étant la solution à la question du sens de ce rêve (SII 191).

La passion de savoir de Freud l’a conduit à traverser la résistance du moi, à traverser l’angoisse de la chair informe, et lui révèle l’inconscient comme clé du rêve.

L’inconscient de Freud se révèle dans le rêve comme clé du rêve. C’est dire que l’inconscient se manifeste dans le rêve de Freud comme clé du rêve. Le plan du symbolique se révèle à travers la mise en scène figurative du rêve : le symbolique transcende l’imaginaire.


C’est la place, inaugurale et historique (SII 185) que Freud écrivant le Traumdeutung donne à l’analyse de ce rêve qui montre que la signification qu’il donne à ce rêve (le déculpabiliser quant au cas Irma) est dépassée par le rêve lui-même, en ceci qu’il fait apparaître le symbolique au moyen de la formule chimique.

Le sens du rêve est donc que son capital est l’inconscient, ce que veut prouver Freud dans la Traumdeutung (d’où son caractère fondamental).


Le symbolique comme ce qui insiste (compulsion de répétition), au-delà du principe de plaisir, ne peut pas être séparé du réel en tant qu’il est ce qui chute de la symbolisation (cf définition du refoulement originaire dans La signification du phallus) : le désir est le rejeton de ce qui ne peut s’articuler dans la demande, de ce qui chute de la symbolisation).


D’ailleurs, dans la réponse de Jacques Lacan à Ritter de 1975 quant à Unerkannt, Lacan explique l’ombilic du rêve par le refoulé originaire.


L’on ne peut donc pas séparer le symbolique comme structurant ce qui insiste dans le symptôme, au-delà du principe de plaisir (cf suite du séminaire II), du réel comme ce qui insiste dans le désir, comme son objet, c’est-à-dire comme objet d’angoisse.


Il reste à élucider le rapport entre le versant signifiant et le versant réel de l’objet du désir (de même, la Chose peut être présente comme signifiant pur, exemple sous la forme de la loi kantienne, selon Lacan dans le séminaire VII).


Séverine Thuet


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