CARTEL DU 16 DECEMBRE 2014
De la direction de la cure et des principes de son pouvoir, Lacan. Ecrits.
Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle, Freud. Cinq psychanalyses.
Nous trouvons de nombreuses illustrations de l'interprétation de Freud par Lacan dans La direction de la cure dans le texte de l'homme aux rats :
- insistance du signifiant dans l'interprétation freudienne (référence à l'enchaînement des représentations selon la logique de l'inconscient et non selon la logique quotidienne/secondaire (213), par exemple se sentir coupable d'avoir tué le père que l'on n'a pas tué voire qui n'est même pas mort, Dick-le gros est celui que l'on a voulu tuer en maigrissant (221), Spielratte (236)),
- dédoublement de l'analyste dans le transfert (le fantasme de transfert : que le patient épouse la fille de Freud (231), Freud appelé "mon capitaine" (209)),
- jouissance au coeur du désir (l'horreur d'une jouissance par lui-même ignorée, supplice exécuté par On, (207),
D'où : au-delà des petits autres il y a pour le névrosé la supposition d'un Autre, lieu du langage et de garantie de la bonne foi (enlève-je ou n'enlève-je pas la pierre du chemin de la bien-aimée...je vacille, suspendu aux versatilités de l'Autre).
Il y a aussi dans ce texte des éléments heurtant l'esprit lacanien : tout faire pour que la patient ne parte pas, jusqu'à le rassurer sur sa propre absence de cruauté (206), faciliter son récit, lui donner des notions de théorie analytique afin de surmonter la résistance (212), le flatter (214), lui expliquer ce qu'est le refoulé, discuter du bien-fondé de l'hypothèse de celui qui prétend savoir (218), le défier quant à la vérité de son raisonnement (219), présenter une construction sur la masturbation (232).
A l'opposé de la confirmation par Lacan à Gérard Haddad que, oui, il est bel et bien foutu.
Pour tout dire, ces éléments sont peut-être bien dus à la nécessité de défendre l'idéologie nouvellement constituée, et de la différence de style qui découle de la différence de position de chacun de ces analystes - Freud / Lacan - relativement à leur époque (le 1er doit tenir coûte que coûte à la vérité de ce qui apparaît dans le champ scientifique comme une nouvelle doctrine, le second doit reprendre la psychanalyse à sa racine car elle s'est dévoyée), ils relèvent tout aussi bien des satanées passions de l'analyste décrites par Lacan dans La direction : goût de ne pas décevoir, besoin de garder le dessus, éviter la rupture (La direction 595).
Nul enseignement là-dedans apparemment.
Sauf que le manque à être qui doit demeurer le lieu dans lequel baigne l'analyste et d'où il parle et agit ne devient chez Freud aucune des trois figures du rien ou passions de l'être décrites par Lacan : ignorance, amour, haine (La direction 627).
L'on dirait tout de même que Lacan a aufgehobt Freud -le fameux concept hégélien repris chez Freud par Lacan, pointé par lui alors qu'il était encore sous influence hégélienne (Remarques sur la Verneinung...) et qui désigne chez Hegel ce qu'une période de l'histoire de l'esprit fait de la précédente : elle la dépasse tout en la maintenant en elle et en étant un progrès dans la révélation de l'essence de l'esprit. Cela peut-être traduit comme assomption : je l'assume, je le prends en moi, telle l'assomption symbolique des signifiants offerts, ces signifiants s'accrochent alors dans ma psyché, ou au contraire : Verneinung si l'on considère le discours conscient (c'est ma mère = Aufhebung), Verwerfung si l'on considère la structure (la loi capitonne ma constellation signifiante = Aufhebung). Malgré cette Aufhebung par Lacan, ce qu'il est fait de la lecture de Freud en dit certainement davantage sur son propre désir que sur le texte de Freud lui-même. Mais il le bouffe pas mal.
Lors de ma première lecture de La Direction j'ai cru comprendre une chose très importante, comme lorsqu'une chose qui a toujours été là devient visible, en le relisant, j'ai un peu perdu cette chose-là : c'est dans la différence à laquelle procède Lacan entre l'identification du désir au désir de l'Autre et l'identification primaire (La direction 628).
Cette idée me semblait à première lecture répondre à mon interrogation issue de la lecture de La signification du phallus, et qui concernait le rapport entre le désir de l'infans et l'objet a de la mère : est-ce que l'enfant prend cet objet a sur lui en quelque sorte, y a-t-il transfert d'objet a, si l'enfant prend comme objet du désir l'objet du désir de la mère puis le désir de la mère (le désir qu'elle désire) ? L'objet a de la mère est-il à l'origine de la fixation de l'enfant à un objet partiel, donc de son objet a à lui, si je puis dire ?
Dans La Direction, Lacan distingue le désir ayant pour objet l'Autre ou pour sujet l'Autre de ce que je viens de décrire et qui semble relever de l'identification primaire (cf assomption par le sujet des insignes de l'autre, La direction 628).
Ceci en vertu de l'existence de la Spaltung, qui faisait justement difficulté dans la lecture de La signification du phallus (si l'enfant est spalté / divisé et que la mère aussi, comment ça marche ?).
Car le sujet a à trouver la structure constituante de son désir dans la même béance ouverte par l'effet des signifiants chez ceux qui viennent pour lui à représenter l'Autre (La direction 628) : ceci est évidemment valable pour l'analyste, qui doit laisser la béance agissante dans son écoute. Faut-il qu'elle soit nettoyée...Est-ce que ça se nettoie ?
Le désir de l'enfant est renvoyé au désir de la mère / Autre qui renvoie donc à l'Autre de la mère aussi, et à l'Autre de cet Autre de la mère (cf le jeu des signifiants est animé dans chaque partie particulière par tout l'histoire de l'ascendance des autres réels que la dénomination des Autres signifiants implique dans la contemporaineté du Sujet, D'une question préliminaire à tour traitement possible de la psychose, in Ecrits, 551.
Séverine Thuet.
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