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Acte symptomatique / Acte analytique, ou du statut de l’accident.

Cartel du 20 Décembre 2017

L'acte analytique, J. Lacan.




L’objectif de Lacan est de mettre en adéquation (les modalités de son discours empêchent que ce discours soit réductible à l’ancienne définition de la vérité comme adéquation au réel) le discours sur l’analyse et le statut du sujet dans la structure, c’est-à-dire un sujet subverti ou en subversion (SXV 11).


L’intéressant est que, pour ce faire, Lacan parte de quelque chose qui regarde l’acte au premier chef dans les textes fondateurs de la psychanalyse, à savoir l’accident : nous allons chercher dans la présentation des accidents concernant ce qui s’énonce de cet acte, éclairs de lumière diversement situés qui nous permettent d’apercevoir où en est véritablement le problème (SXV 11).


Il n’est pas d’aujourd’hui que Lacan se mette à présenter les accidents des cures conduites par d’autres, c’est même le presque unique mode en lequel Lacan exemplifie sa conception de la conduite de la cure tout au long des séminaires. En l’occurrence, le sens de l’accident est le sens commun de ce qui dérape. Sauf que ce n’est pas par hasard que les erreurs / dérapages / déviations apparaissent dans les fragments de cure évoqués par Lacan : c’est par défaut de conception de l’expérience analytique selon lui.


La formation analytique conforme à la vérité de l’expérience analytique est en jeu dans la question inaugurale du séminaire de ce qui fait l’efficace de l’analyse, le sous-entendu étant qu’une insuffisante conception ne peut donner lieu à tout le possible de cet efficace, voire, le rende impossible.


L’accident a un tout autre sens en psychanalyse que ce qui ne doit pas être, et celle-ci lui donne un statut particulier.

La conception aristotélicienne de l’accident, ce qui peut ne pas être et n’est donc, en tant que tel, pas objet de science, est complètement subvertie par la psychanalyse, qui pose, comme principe, qu’une idée qui vient à l’esprit est lestée de la même puissance déterminative qu’un gramme de composé chimique (Introduction à la psychanalyse, Freud), que ce qui semble relever du hasard n’en est pas, qu’il n’y a pas de hasard.

De même que la science du normal est fondée par ce qui en dévie, à savoir le pathologique, c’est par l’accidentel que le savoir du sujet peut avoir lieu, en tant qu’il lui redonne la place centrale dans la détermination du discours.


Le savoir-faire de l’analyste devient alors un savoir-y-faire avec l’accident.


En l’état, ce sont les accidents du discours sur l’acte de celui qui se prétend habilité à exercer qui doit être examiné : les accidents du discours.

Même s’il est difficile de distinguer les accidents du discours des accidents tout courts.


Le discours de Lacan est-il sans accident ?



Ainsi, en ce qui regarde l’acte, le lapsus même a une face d’acte (SXV 12).


Des actions en apparence maladroite visent juste, sont très conformes au but, ce qui implique à la fois de la violence et une certitude de l’intention inconsciente qui fait défaut à de nombreux mouvements conscients : lorsque Freud casse, par un mouvement large mais qui sut épargner tous les autres objets à proximité, le couvercle de son encrier, son mouvement involontaire vise à réaliser l’intention de remplacer le seul objet qui dépareille d’avec les nouveaux autres objets de son bureau (Psychopathologie de la vie quotidienne, 192).


La face d’acte correspondrait donc à la réussite de l’intention inconsciente, qui se serait manifestée en contradiction avec le motif conscient. C’est un acte réussi par rapport au motif conscient, puisque l’inconscient a troublé son cours, un acte ni raté ni réussi relativement à l’inconscient, comme le montre le cas rapporté par Freud du médecin qui casse le vase qu’il s’était indûment approprié et qui in fine tient lieu de son rapport aux femmes (Psychopathologie de la vie quotidienne, 197).


Le ratage ne désigne que le lieu de l’abri (SXV 13) donné au sens de l’acte.


Freud, lors de ses efforts de catégorisation des actes en question, nous avertit à de nombreuses reprises sur le fait qu’un acte, au sens où il est considéré ici, erreur, maladresse, ect…, peut entrer tout aussi bien dans une catégorie ou que dans une autre : la séparation est non tranchée (185), la limite est floue (220).


Si le lapsus même a une face d’acte, la question qui se pose immédiatement est la suivante : abandonne-t-on ici l’idée de franchissement subjectif impliqué par la notion d’acte issu du séminaire précédent, c’est-à-dire le franchissement du Rubicon, la modification de la constellation symbolique de la scène (comme l’institue l’invasion d’un pays ou l’acte incestueux), l’instauration d’un avant-après, l’approximation du signifiant qui se signifie lui-même ?


Peut-on mettre tout ce poids dans un lapsus ?

Peut-être que la réponse est que cela dépend de la lecture de cette face d’acte du lapsus.


Car il est possible que l’acte soit dans la lecture de l’acte (SXV 13).


D’où :


1/Ce qui explique que l’acte au sens de la psychopathologie de la vie quotidienne peut entrer dans une catégorie ou une autre.


2/Ce qui induit l’acte de Lacan qui est de donner acte du discours de Freud, d’interpréter le discours de Freud, jusque dans ses accidents, c’est-à-dire dans ce qui fait la singularité de son désir (cf ses lectures de l’interprétation par Freud du rêve d’Irma par exemple, SII).


3/Si tel est le cas, nul acte compris comme intervention qui exclut le registre interprétatif n’est nécessaire au déroulement de la cure.


4/Si l’acte est lecture de l’acte, l’on en revient à l’idée de la première leçon, à savoir que les choses n’existent pas avant d’être mises à l’existence par le désir d’un sujet (Cantor).


Que l’acte ne dise pas quelque chose en lui-même se voit à ce que le suicide est le seul acte qui puisse réussir sans ratage, car il implique, si l’on ne considère que l’acte lui-même et en tant que le suicidé n’en réchappe pas, le parti pris de n’en rien savoir (Télévision, 542).

L’acte doit rater pour qu’advienne la possibilité d’un gain de savoir : le recours à la méthode de l’association libre peut déterminer après-coup la signification inconsciente de l‘acte à partir de son côté manqué est impossible si le sujet est mort (Clinique du suicide, direction G. Morel, 15).

L’on pourrait dire, tout aussi bien, à partir de son côté réussi, puisque l’intention inconsciente réussit à percer dans l’acte dit manqué.

Mais peut-être que non, car dans Télévision, l’acte est dit réussi uniquement s’il ne peut donner lieu à sa lecture.

Ce ne serait donc que l’acte raté qui puisse être lu. C’est dans cette mesure que l’acte n’est pas ce qui dit mais ce qui veut dire (résumé de La logique du fantasme dans Autres Ecrits, 325).


L’on est ici, quant à la lecture, du côté de l’acte de l’analysant, pas de celui de l’analyste.

Sauf que, en partant de l’acte symptomatique pour nous parler de l’acte analytique, Lacan instaure un rapport à cerner entre les deux : l’acte analytique est-il être un acte manqué ?


Si c’est la répétition qui fait de l’analyse originelle un acte (référence à l’analyse de Freud avec Fliess pensée par Mannoni dans la Proposition sur le psychanalyste de l’Ecole, in Autres Ecrits, 253), qu’est-ce qui fait écho dans l’acte de l’analyste à ce qui est en puissance d’advenir chez l’analysant ? Comment l’acte de l’analyste prend sa fonction relativement à la répétition ?

En somme, de quoi est fait l’écart entre les deux, écart qui produit l’acte analytique ?


L’issue de ce questionnement entre l’acte et sa lecture aboutit à la fin de leçon 2 de ce séminaire, lorsque Lacan aborde une historiette (une femme de non recevoir) : elle n’est amusante que référée à l’Autre, que portée au champ de l’Autre (SXV 18).


C’est seulement à ce niveau que se révèle l’esprit du con : on aurait tort de penser que le con manque d’esprit, même si c’est d’une référence à l’Autre que cette dimension s’ajoute.

L’on aurait également tort de penser que la référence au con, qui traverse cette leçon, soit anodine, c’est tout aussi bien le phallus qui court le long du discours quotidien que le phallus qui court le long de la leçon comme déterminant essentiel du discours analytique, voire, de l’acte analytique.


En effet, la mention de cette historiette exemplifie la thèse suivante : l’acte psychanalytique s’articule au niveau de ce qui répond à cette déficience qu’éprouve la vérité de son approche du champ sexuel, caractérisé par une impossible réalisation véridique (SXV 18).

C’est par rétention de quelque vérité que Freud est empêché dans son interprétation (SXV 16).


Lacan confère à « il déconnait » le même statut qu’à « il pleut », à savoir une neutralité intransitive (SXV 17) !

Le « il déconnait » n’est pas sans rapport avec l’inappropriation de l’organe phallique à la jouissance (SXV 18).

C’est à la vraie dimension de la connerie qu’a affaire l’acte psychanalytique car toute qualification interprétative des ratages tels utiliser la clé de chez soi pour pénétrer dans son laboratoire représente déjà une certaine forme de déconnaissance, de chute (SXV 17).


L’on a donc :


1/ l’acte serait la lecture de l’acte, c’est-à-dire porté à la dimension signifiante (SXV 13)

2/ l’acte analytique s’articule à la déficience de la vérité de son approche du sexuel

3/ l’interprétation de l’acte est déconnaissance


Ce n’est pas tant qu’il y ait une vérité de la connerie, au sens où l’intention inconsciente dirait la vérité de l’acte apparemment maladroit (mais ce registre ne peut être complètement éliminé), mais la vérité relève de la connerie en tant qu’elle relève du sexuel. L’acte analytique par définition s’ajuste ce niveau de déficience de la vérité et du phallique. Comment articuler ces deux registres ?


Même si l’acte manqué est lui aussi déconnaissance, pour reprendre cette magnifique trouvaille, l’acte analytique s’en distingue, et d’abord en ceci qu’à la différence d’avec l’acte raté, l’on peut penser qu’il s’affiche comme acte, qu’il se pose comme acte, que le sens de son acte n’est pas mis à l’abri de la maladresse ou du ratage (SXV 13). Je dis, le sens de l’acte, mais il est possible que, précisément, l’acte analytique soit acte de ne pas pouvoir être écartelé par une intention signifiante de l’analyste.


Par exemple, le travail d’interprétation peut être produit après coup par l’analysant à la suite de la séance, ou entre les séances. L’arrêt de la séance sur la formule issue de l’association de l’analysant à la suite du récit d’un rêve, arrêt qui peut donner lieu à la saisie d’une idée (d’une modification du fonctionnement psychique ?), relève-t-il de l’acte analytique en ce sens ? Tel le « A demain » lancé répétitivement par Lacan à Pierre Rey alors même que celui-ci n’a pas d’argent pour le payer (et que l’argent est en question dans son existence comme accumulation de dettes) (Une saison chez Lacan, 64). La coupure de la séance, sans être évidemment dénuée d’un enjeu éthique majeur pour le psychanalyste, relève en quelque sorte de la motricité, de la pragmatique de l’acte et non de la praxis, de la mise en acte de la déconnaissance. A voir.

Il semble que Lacan fasse le même coup avec l’acte analytique qu’avec le désir de l’analyste, posant par là même les questions à un niveau qui ne relève pas de la technique mais de l’éthique, du registre de la vérité, en l’occurrence la vérité comme déficiente relativement au sexuel, comme impossible à dire toute (Télévision 509).


Séverine Thuet







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