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La pulsion entre désir et amour 2 : question théorique ou question d'analyse ?


La pulsion et le transfert




Chaque pulsion a une vie propre, appelée destin, destin suivi, subi, dit même Freud, « au cours du développement et de la vie »[1]: ce développement et cette vie, dont le cours est ici posé presque en parallèle de celui qui constitue pour une pulsion un destin, sont ainsi presque externes relativement aux destins de pulsions. Ils désignent pour une part le développement du corps, qui fait que, par exemple au point de maturation des organes de la génération, un ordonnancement et une indexation de la pulsion lui sont nouvellement donnés, à la pulsion ainsi qu’à la satisfaction, dont la décharge sexuelle est le modèle pour Freud, alors même que toutes les zones érogènes sont déjà constituées comme telles, bien avant ce point de maturation. Ils désignent aussi les expériences, auxquelles, ainsi que le remarque André Green commentant L’analyse avec fin et l’analyse sans fin, est irréductible « la vie pulsionnelle », vie pulsionnelle dont « l’autonomie de droit » serait, selon lui, l’objet de l’insistance de Freud dans ce texte[2].

Le maintien de la théorie de la pulsion fait, selon Green, le maintien de la psychanalyse elle-même dans la théorie, qui ne risque ainsi pas d’être remplacée par une « psychologie psychanalytique »[3], tant qu’est maintenue la « fonction de déplacement » que la pulsion confère à l’objet. La conservation de tous les stades de la pulsion dans le psychique n’est-elle pas contraire à la fonction de déplacement qui caractérise la pulsion ? La reconstruction du cas clinique présuppose la possibilité de faire l’histoire des transformations pulsionnelles. Cette présupposition et cette reconstruction sont-elles la condition des modifications du détour de jouissance qu’impose la névrose au sujet ? Et, si tel est le cas, l’on peut s’interroger sue le rapport de cette reconstruction, ou construction analytique, et de la théorie en tant que constituée : de quelle façon la singularité du cas dérange-t-elle la théorie ? L’important est que cette modification ait lieu, non que la théorie soit reproduite. Mais l’on peut penser que des fixations théoriques puissent empêcher cette modification.

La conservation de tous les stades pulsionnels et la conservation de la pulsion dans la théorie freudienne constituent peut-être au fond une seule et même chose, qui expose la façon dont Freud crée la psychanalyse. Doit-on, afin de faire œuvre de psychanalyse, maintenir cette idée, ou doit-on, comme nouveau fils de Freud, réinterpréter en une autre langue les notions qu’il a forgées, c’est-à-dire construire une autre métapsychologie, ainsi que le fit Lacan, qui créa, selon Granoff, sa propre « sorcière »[4] ? Ou peut-on être psychanalyste sans cette création ? Et qu’est-ce qui garantirait dans le premier cas le pouvoir de vérité de ces sorcières ?


La raison pour laquelle les pulsions sont conservées dans la théorie freudienne est qu’elles constituent les « sources de la résistance à la cure analytique » et « obstacles au succès thérapeutique »[5]: les pulsions sont ainsi liées au transfert, qui ouvre l’accès à l’inconscient, objet de la psychanalyse. En effet, ce que Freud nous livre des destins pulsionnels est issu de ce que la psychanalyse « a pu observer dans les psychonévroses »[6] : c’est pourquoi l’on peut s’interroger sur ce que Freud sous-entend quant à la possibilité d’étudier « la vie pulsionnelle à partir de la conscience »[7], à savoir, par la négative, que cette possibilité ne soit pas tout simplement nulle.

Nous pouvons penser qu’ici est instauré un rapport entre la pulsion, dont Freud emplit le concept progressivement ici, les pulsions originaires, dont l’activité constitue une résistance au traitement, et les motions pulsionnelles, qui constituent les ponctuations actualisées des pulsions, un rapport tel qu’il soit possible d’exprimer un des ressorts de la vie pulsionnelle, par exemple, par la phrase « Ma mère, ce n’est pas elle »[8]. A nous d’interroger ce rapport.

Le « plus puissant agent de la résistance » est aussi « le plus efficace des facteurs de la réussite »[9] du traitement analytique, il s’agit du transfert. Les questions qui se posent quant à la pulsion nous conduisent donc au transfert, mais c’est trop peu dire : qu’est-ce qui autorise, des mouvements pulsionnels observés dans la cure, à passer à un exposé, général par définition, des destins pulsionnels, exposé comme celui de l’article de Freud, et comment passer du jeu du signifiant au sort des pulsions au cours de la cure ? C’est en tant que liée au transfert que la pulsion est abordée par Lacan comme concept fondamental de la psychanalyse, non en elle-même, comme l’indique le titre du chapitre qui traite de la pulsion, c’est pourquoi le Trieb n’est pas la « donnée radicale »[10] invocable contre sa pensée comme ce qu’il négligerait : il n’y a de donnée radicale en psychanalyse que le transfert, celui de Lacan à Freud, celui des auditeurs ou lecteurs de Lacan à Lacan enseignant Freud ou à Lacan psychanalyste/enseignant, et d’abord transfert à Freud lui-même, d’où l’inauguration du Séminaire par le commentaire des écrits techniques de Freud.

Or, quelle est la capacité d’analyse, en ceci que le lecteur se fait analysant, d’un écrit de métapsychologie tel l’article sur les destins de pulsions ? Si ce n’est le texte en train de s’écrire, qui, nous confrontant à ce qui, de la lecture de Freud, fait œuvre d’analyse questionnant les ressorts d’un passage singulier à l’analyste. Et ce texte même, par lequel nous interrogeons ce que veut dire l’introduction du discours sur les pulsions dans l’analyse, implique-t-il de se placer en dehors de l’analyse, par sa remise en cause de sa langue fondamentale, donc l’exclusion de celui qui la tient, ou dit-il plutôt quelque chose de la façon dont on s’y place, au sein d’une « stratégie », guidant le prélèvement représentatif, stratégie qui reste « pendant un temps au moins »[11] voilée à son auteur, d’où la nécessité de son adresse et de ce(eux) qui y répond(ent) ?

Cet être en dehors de l’analyse est-il nécessaire à la position d’être analyste ? S’il n’est pas nécessaire de « chercher des preuves »[12], comme le dit Octave Mannoni, au sujet du chapitre VII de l’Interprétation des rêves, de la vérité des énoncés, et que le moment de « la découverte »[13] est ce qui fait le lien essentiel du transfert et de l’analyse, et si ce moment de la découverte est bien ce qui peut déranger le théorique, comment questionner le langage en lequel sont traduites les expériences, du fait de l’incertitude des concepts fondamentaux ?

Nous y retrouvons également la question du désir de l’analyste, qui est l’orientation du traitement du concept de pulsion par Lacan. Quelle serait la pulsion à l’œuvre dans le désir d’être analyste ? Les chemins de lecture de l’écrit lacanien et de l’écrit freudien semblent très différents : comment l’analyse s’y transmet-elle par les transferts ? Si le destin du transfert dans la cure est « d’être lui-même transféré »[14], ce qui semble garantir la transmission de ce qui est la donnée radicale de la psychanalyse, qu’est-ce qui garantit la vérité de ce que le transfert supporte de théorique ?






Le stimulus pulsionnel



Les destins pulsionnels résultent de l’influence des polarités qui dominent « la vie d’âme »[15], comme le principe de plaisir exerce sa « domination »[16] sur « l’activité des appareils d’âme »[17]. A quoi sert la schématisation des causes du destin par ces polarités ? Les expressions « vie pulsionnelle », « vie de l’âme », se rapportent au fond aux différents modes temporels de l’existence humaine, ainsi que ce qui se trouve à sa limite, la mort, elle-même ensuite intégrée par Freud et par Lacan à la théorie de la pulsion. Ce qui nous interroge ici est comment, de cette vie, ce que Freud appelle des « opérations psychiques »[18] peuvent s’en trouver prélevées, circonscrites, et définies comme objets de théorisation.

Outre la métaphore, c’est par l’analogie négative que Freud théoricien raisonne afin de définir la pulsion par différence d’avec le domaine psychique. En effet, le stimulus pulsionnel ne doit pas être tenu pour équivalent au stimulus psychique : le stimulus pulsionnel, tel « le dessèchement de la muqueuse du pharynx », est un stimulus pour le psychique, mais n’a pas la même valeur pour l’animique, lieu où agit le stimulus, comme stimulus psychique, que, par exemple, « une forte lumière [qui] frappe l’œil ». La raison en est que la forte lumière agit « d’une façon beaucoup plus analogue à »[19] la façon d’un stimulus physiologique qu’à la façon d’un stimulus psychique. La lumière exerce une action sur l’animique car produit une sensation de déplaisir qui met en branle la « volonté » qui conduit à l’action-réflexe de fermer l’œil, par exemple, dans le but de « faire taire »[20] le stimulus dérangeant. En quoi la forte lumière, qui suit la logique du stimulus physiologique, est-elle un stimulus pour le psychique ? Si le stimulus pulsionnel se distingue d’un autre stimulus dit psychique par son origine dans l’organisme, c’est-à-dire son rapport à la source somatique, c’est que le dessèchement en question est supposé être le fondement organique du stimulus pulsionnel qu’est la soif[21], « source de stimulus interne »[22] dont la modification est la voie de la suppression du stimulus. L’on voit que le stimulus qui suit la logique du stimulus psychique devrait se distinguer du précédent par son rapport au corps : il agit sur l’animique et exige un « travail »[23] différent de l’animique : quelle est cette différence ?

Prenons le cas de l’œil, qui reçoit la forte lumière qui le frappe comme un stimulus psychique : il est aussi ce qui peut être frappé par « la beauté » et c’est même « la voie par laquelle l’excitation libidinale est le plus souvent éveillée »[24], conformément au double sens de Reize, « stimuli et attraits »[25]. Ce qui est le plus souvent est ce qui est l’objet de la science. Donc la beauté est ce qui éveille le plus souvent l’excitation génitale normée. L’œil est stimulé en tant que « zone érogène »[26], au sens de la logique pulsionnelle, par la beauté féminine, et tant qu’organe, au sens de la logique physiologique, par la lumière.

Or la zone érogène est l’organe de la libido et relève du rapport de l’être individuel aux lieux d’interfaces, qui sont des lieux de circulation libidinale entre son dedans et son dehors : la zone érogène est ainsi relative au corps propre en tant que surface projetée. C’est pourquoi Lacan identifie ce que « la théorie » appelle la source à « la zone érogène dans la pulsion »[27]. La beauté provoque l’excitation conformément, pour Freud, à la « sélection naturelle »[28]. C’est dire à quel point la nature, au sens de l’exigence de reproduction, exige que la femme soit belle : cette excitation donne du plaisir, augmente l’excitation déjà là, mais l’excitation, de toute façon, serait provoquée par la seule beauté, comme l’action-réflexe est provoquée par la forte lumière. Pourquoi cet effet de la beauté n’est-il pas le même que l’effet de la lumière ?

L’excitation est qualifiée de libidinale, ce qui signe la pulsion par différence d’avec le stimulus externe. C’est donc que le stimulus externe qu’est la beauté a provoqué le stimulus interne traduit par l’excitation, ce stimulus interne étant celui des organes génitaux, qui a sa raison en lui-même, comme organe, comme le pharynx, qui produit la soif. Or la soif relève-t-elle de la libido ? Freud identifie « le stimulus pulsionnel » et le « besoin »[29], et ce dernier terme est mis entre parenthèses dans le texte, non comme le signe d’une approximation, mais comme la marque d’une définition, de même que le terme de satisfaction juste après.

Nous pouvons donc nous demander en quoi la pulsion, en tant qu’elle relève de la zone érogène, est en rapport avec le besoin, qui relève de l’organe. Lacan distingue le besoin de « l’exigence pulsionnelle », le Not du Bedürfnis, en ceci qu’aucun objet du besoin « ne peut satisfaire la pulsion »[30]. C’est dire que la pulsion, en tant que notion de théorie psychanalytique, n’importe pas en tant que besoin, par exemple soif, mais en tant que « besoin » déréglé, par exemple la potomanie.

D’abord, aucun destin pulsionnel décrit par Freud ici ne pourrait avoir pour sujet le stimulus pulsionnel qu’est la soif, ensuite, d’après Freud lui-même, la faim, exemplifiée au même titre que la soif lors de la distinction du stimulus psychique et du stimulus pulsionnel, n’est pourtant pas un bon modèle quant à l’exposition théorique du refoulement, mode d’action psychique propre à la psychanalyse : il vaut mieux s’en tenir « à l’expérience clinique telle qu’elle s’offre à nous dans la pratique psychanalytique »[31]. L’objet du besoin peut satisfaire le besoin, dont la non-satisfaction produit le Not et un « impératif » absolu, l’exigence pulsionnelle relève d’une autre sorte d’impératif et d’une autre sorte d’objet.

C’est sous une perspective physiologique, c’est-à-dire dans la négation de ce qu’il advient du cri relatif à l’impératif produit par le dessèchement, que la soif relève du besoin, et, que son objet, relève du liquide désaltérant : c’est sous cette perspective que le stimulus pulsionnel qu’est la soif peut être dit se comporter « d’une façon beaucoup plus analogue à celle des stimuli physiologiques » qu’à celle des stimuli psychiques. L’analogie dont part Freud afin de distinguer les deux sortes de stimuli psychiques, le pulsionnel et l’autre, est ainsi destinée à montrer que le stimulus psychique en tant que pulsionnel ne peut être fui, sa source ne peut être tarie, d’où son maintien par une « force constante »[32], ce qui est le but de cette distinction, qui est d’emplir le concept de pulsion. Mais, comme le met en évidence Lacan, la pulsion « n’a pas de printemps ni d’automne »[33], au contraire du besoin d’hydratation ou de décharge sexuelle selon Freud, toujours du point de vue physiologique. L’on peut donc admettre que la satisfaction pulsionnelle n’est pas identifiable à la satisfaction du besoin.

Par conséquent, dans la façon par laquelle Freud illustre son appréhension du stimulus propre à la pulsion, c’est-à-dire dans l’usage de l’analogie, même négative, il serait moins question, dans l’usage de l’analogie, de construire « une théorie « imaginaire » de la pulsion »[34], comme Daniel Widlöcher le reproche à Didier Anzieu, que, comme le second répond au premier, de ne pas dépouiller la recherche conceptuelle de « tout ce qui serait figuratif », sans quoi la théorie ne pourrait se tenir au « cœur de cette tension…entre la clinique et la métapsychologie »[35], oublieuse qu’elle serait du ressort pulsionnel de la pensée, comme du « langage courant »[36]. Les vecteurs de la théorisation de la pulsion seraient ainsi cohérents avec son objet, c’est-à-dire que le déplacement dans la description correspond au déplacement opéré par le langage lui-même, l’homme se nourrissant d’autre chose que de nourriture.

Mais, si tel est le cas, quel serait le rapport de la pulsion qui porte le désir de l’analyste et la connaissance de la pulsion par la théorie ? Si la question de l’universalité de la vérité de la théorie psychanalytique est rendue absurde par l’idée selon laquelle la théorie est une fiction, fiction qui est « le moyen de parler de la vérité »[37] découverte dans la clinique, qu’est-ce qui rend cette théorie communicable à d’autres, plus communicable par exemple que ce qui est découvert au cours d’une séance d’analyse et transmis par un analysant à un autre ? Et qu’est-ce qui se modifie de la transmission de ce croire-savoir de l’apprenti analyste à ce que Granoff appelle le nécessaire « confident » ou « ami »[38], à la théorie analytique ? Peut-être que rien ne garantit ce passage, comment l’analyste peut-il alors répondre de son acte qui prend, sur un mode ou un autre, la connaissance pour principe ?




Le corps sans fond




L’on pourrait dire que la soif est un stimulus psychique qui se comporte comme un stimulus physiologique si lui est dénié son caractère psychique, c’est-à-dire son caractère de demande. En effet, si le stimulus pulsionnel est ce que « l’être individuel » n’a pas le « pouvoir » de « faire taire »[39], c’est bien que le stimulus pulsionnel est ce qui parle, et qui est interprété par un autre, dans le cas de l’être dont la survie est d’abord dévolue à l’autre. Est-ce parce que le cri doit être interprété par l’autre que le cri est autre qu’appel du besoin, et que la réponse au cri transforme le besoin en exigence pulsionnelle, ou est-il toujours déjà autre chose que cet appel et est-ce toujours déjà un appel à l’autre ? La pulsion, ça parle, c’est pourquoi la Versagung, qui est le motif de la haine issue du moi[40], est d’abord un dire qui prive, qui refuse.


Si la pulsion est un dire, une « forme articulée »[41] qui ne se résout pas dans le malentendu qui l’accueille, ni ne se résout à cesser de revendiquer sa satisfaction, et que la visée thérapeutique de la cure analytique y achoppe, comme nous l’avons vu dans l’analyse avec fin et l’analyse sans fin, l’on comprend que Lacan fasse « de la pulsion une demande », « structuralement silencieuse, et d’autant plus impérative qu’elle s’énonce dans le silence »[42]. Si la demande est silencieuse, est-elle celle qui oriente l’analysant au cours de la cure ? Le silence est-il celui qui résulte de ce qui échappe aux possibilités de la symbolisation ?

La suite de l’identification de la structure de la pulsion à celle de la demande, et donc la suite de la mention de sa prise dans « des circuits signifiants », restaure tout de même la dichotomie corps / signifiant. Car l’exemple qui est pris est celui de la ménopause comme productrice d’un « renforcement physiologique de la force pulsionnelle » : en même temps que prise dans le signifiant, la pulsion « s’enracine dans les profondeurs du corps »[43].

Cette idée de profondeurs du corps, analogue à celle de l’âme, qui conduirait à la réserve pulsionnelle, inatteignable comme telle, est productrice d’une mythologie romantique, qui teinte alors la notion de pulsion et dont une autre formulation est son engendrement par la chimie, alors même que l’articulation de la pulsion dans une demande comme dire la rend apte au dire analytique. Est-ce ce versant, ici exprimé dans le registre du corps, qui rend la pulsion résistante au traitement analytique ? Autrement dit, si le roc de la castration, qui fait achopper la visée thérapeutique de l’analyse, relève du corps, s’agit-il de l’ordre de la profondeur ?

La dénégation, qui lève en partie le refoulement, est un moyen de défense contre la pulsion : Urteilsverwerfung, jugement de condamnation, ou « rejet par le jugement », il s’agit de la présentation de ce qui est sur le mode de ne l’être pas. Remarquons qu’il s’agit dans ce rejet par le jugement, comme dans le refoulement, de la « motion pulsionnelle »[44], et non de la pulsion. D’ailleurs, ci-après, lorsque la faim est prise comme exemple non adéquat de pulsion produisant du déplaisir, il ne s’agit toujours pas de pulsion, mais de « stimulus pulsionnel »[45], alors qu’il est bien question de la notion de pulsion, lors de la discussion générale quant à la pertinence de l’hypothèse d’un déplaisir provoqué par la satisfaction pulsionnelle.

Le terme de pulsion, énoncée au singulier, semble ainsi reservé aux examens proprement théoriques, métapsychologiques. La pulsion au singulier ne serait qu’une notion, dont les questionnements quant à l’unité de sa conception par Freud relèverait davantage d’un usage philosophique du raisonnement et de la visée systématique qui s’y trouve associée qu’à la pertinence d’une théorie psychanalytique issue et retournant à la clinique. Ce ne serait pas la pulsion, mais la motion pulsionnelle, qui serait objet de la psychanalyse. La motion pulsionnelle est-elle plus proche de la mise en signifiant dans la parole que la pulsion, tout en disant ce qu’il en est du corps ?







La satisfaction dite sexuelle, le plaisir dit psychique




Examinons le rapport de la pulsion comme force constante (c’est d’ailleurs sous cet aspect que la pulsion s’oppose à la visée thérapeutique de la cure, en tant qu’agencement de pulsions originaires résistantes) et de la pulsion comme poussée intermittente, rapport qui peut illustrer tout aussi bien la faim que l’excitation libidinale, afin de voir comment le corps y est mis en jeu, et si la pulsion, comme objet d’intérêt de l’analyse, vient de ses profondeurs :


Vingt ans avant l’article sur les destins de pulsions, Freud construit la catégorie de la névrose d’angoisse[46], dont l’étiologie serait purement sexuelle. Lors de cette construction est mise en question la notion de satisfaction qui, selon l’irréductibilité, pointée par Lacan, de l’objet pulsionnel à l’objet du besoin[47], doit nous enseigner ce que le but pulsionnel doit à la catégorie du psychique.


La satisfaction est d’abord présentée comme jouissance sexuelle : dans le cas de la femme, « le seul point important est de savoir si la femme parvient ou non à la satisfaction dans la coït »[48]. La mention des égards que l’homme aurait ou pas relativement à cette satisfaction indique que, dans le cas de l’homme, la satisfaction est identifiée à la Sexualgenuss dont le manque conduit, par exemple, à sa substitution sous forme de narcotique[49]. Ici, la décharge des produits sexués n’est pas qu’un modèle pour la satisfaction libidinale, elle en est le contenu même, conformément au plus haut plaisir accessible que Freud définit dans les Trois essais sur la théorie sexuelle : le plaisir « entièrement provoqué par délestage », entièrement plaisir de satisfaction [Befriedigungslust] »[50]. Y a-t-il un autre plaisir que celui de la satisfaction, comme le suggère l’accolement de ces deux termes, « plaisir de satisfaction », alors que toute « satisfaction pulsionnelle » est « empreinte de plaisir »[51] ?

Toute la problématique du refoulement est issue de cette question, de la possibilité de la déliaison du plaisir et de la satisfaction pulsionnelle, problématique qui passe par l’éviction du problème soulevé, pour l’être individuel, par l’attente de l’objet du besoin. Avec la problématique du refoulement, c’est la psychanalyse comme paradoxale qui se trouve issue du rapport du plaisir et de la satisfaction, sous la forme du déplaisir satisfaisant comme caractéristique du symptôme : « les patients » satisfont à « la loi du plaisir »[52].

Ce que nous remarquons est que, dans le premier temps de l’élaboration freudienne de la névrose d’angoisse, la satisfaction est identifiée à la jouissance sexuelle, décharge physiologique sans reste. Par exemple, le défaut de satisfaction peut être engendré par les hommes qui « se contentent de toucher ou de regarder la femme »[53]. Ces actes apportent du plaisir par eux-mêmes : c’est dire que ces actes, en tant que préliminaires, sont des manifestations de désir, qui apporte donc du plaisir en tant que tel : celui qui s’y adonne jouit ici de son désir. Mais ces actes constituent l’appel à un surcroît de plaisir, c’est-à-dire à « un accroissement supplémentaire de la tension sexuelle »[54], qui devient du déplaisir si l’acte sexuel n’est pas poursuivi jusqu’à son terme. Le plaisir apporté par ces actes n’est donc pas complètement plaisir de satisfaction, comme le dit Freud.

Or, chacune des étapes distinguées par Freud lors de l’explication des destins de la pulsion de regarder et du sadisme est supposée constituer une étape de jouissance, par exemple : « on jouit [geniesst] soi-même masochistement dans l’identification avec l’objet souffrant »[55]. C’est d’ailleurs ce présupposé qui perturbe l’élaboration du masochisme d’abord saisi, conformément à sa première signification, comme plaisir pris à la douleur, ce qui contredit la notion de plaisir de satisfaction qui, jusqu’à l’élaboration de la pulsion de mort, est redondante. La notion de plaisir de satisfaction, dont l’entièreté équivaudrait à la jouissance, nous conduit ainsi à la mise en question de ce qu’il en est du sexuel. Car la liaison des pulsions, telles que conceptualisées à partir des années 20, projette cette mise en question sur la description freudienne des destins pulsionnels : ainsi que le remarque Lacan commentant le fantasme « On bat un enfant », « Nous ne pouvons dire si c’est sexuel ou si c’est sadique »[56]. Il convient ainsi d’élargir le sexuel au psycho-sexuel[57], quitte à perdre le critère de la jouissance physique. La perte de ce critère est en quelque sorte la perte du critère du sexuel. Mais cette perte est nécessaire afin de constituer le domaine du psychique tel que Freud le fonde.


Revenons au regard : quelle est la différence entre le plaisir apporté par le regard de la beauté et le plaisir lié à l’acte de « soi-même regarder un membre sexuel », le premier n’étant considéré comme sexuel que s’il est la prémisse à la continuation de l’acte ? Cette différence est justifiée par le présupposé de la norme génitale, or il est justement remis en cause par le caractère sexuel du second. Le regard peut être de nature sexuelle par lui-même, indépendamment de la décharge des produits sexués. D’ailleurs, il n’est pas vrai que toute activité sexuelle, comme « acte de la satisfaction sexuelle », comporte « le plus souvent un orgasme complet »[58]. Enfin, la conservation de tous les stades de la pulsion et la satisfaction attachée à tout but pulsionnel implique que la satisfaction ne puisse être complète, puisque les revendications précédentes subsistent.

Du point de vue de la façon dont le concept de névrose d’angoisse est justifié par l’observation du psychanalyste, l’on peut remarquer que, Freud, en 1898, observe que « le jour suivant » un « coït avec défaut de satisfaction », survient « l’accès d’angoisse ». Cette observation signe la croyance en la causation de la névrose par la vie sexuelle génitale et physique, ainsi que la pensée qui précède la découverte de la sexualité infantile. Il ne sera plus question de cette croyance dans l’article cité qui élargit le concept de sexualité, mais le plus important est de voir que cet élargissement est déjà en germe dans la première pensée de l’étiologie sexuelle qui semble pourtant indexée à l’organique, en 1898, comme nous allons le voir.

Cherchant ce qu’il en est de la satisfaction pulsionnelle dans le sexuel, nous nous confrontons ainsi à la mise en jeu du désir, qui à la fois donne l’enjeu de la pulsion quant à la position de l’un comme cause du désir de l’autre, et semble masquer ce qu’il en est de la pulsion dans le dire analytique. Jusqu’où et comment les observations peuvent-elles fonder une partie de la théorie ? De 1898, date de l’observation freudienne du symptôme issu d’un coït insatisfaisant, l’on passe, en 1958, au pointage lacanien de « la profonde cohérence…du désir avec le symptôme » (pointage issu de l’observation faite par un autre analyste), soit d’une exhibition à la suite d’un coït « pleinement satisfaisant »[59]. Qu’est-ce qui rend raison du choix des observations, de leur interprétation et de la transformation de cette dernière en un énoncé théorique ?

Le Séminaire, comme le texte freudien qui vise la justification d’une nouvelle catégorie nosologique, visent l’adhésion de l’auditeur ou du lecteur : ils partent à la recherche du transfert de quelques uns, pourrait-on dire. Le ressort de cette adhésion n’est-il relatif qu’au partage de la fiction qui sous-tend la théorie en question ? La théorie n’est-elle partageable qu’à ce titre ? Conformément à ce qu’enseigne Lacan à travers sa parole vive, c’est-à-dire conformément à la structure de l’inconscient, la signification de l’exhibition n’est pas l’enjeu de sa remarque, comme elle n’est pas le principe du dire de l’analyste. Qu’est-ce qui remplit la place vide laissée par la signification dans la théorisation ?

Revenons au texte de Freud : la névrose d’angoisse s’accompagne d’une diminution « de la libido sexuelle, du plaisir psychique »[60] : il est remarquable que Freud exemplifie la libido sexuelle par le plaisir psychique en lien à la satisfaction. C’est dire que la satisfaction est liée, d’abord, à la sensation de plaisir, ensuite, à l’ordre du psychique, et non à celui du somatique. L’on peut se demander si le plaisir dont il est question ici est lié à la sensation consciente. Car lors de la définition du principe de plaisir, Freud relie explicitement ce principe aux « sensations de la série plaisir-déplaisir »[61], selon une équation compliquée et encore obscure, d’où l’on ne peut rien déduire quant à leur caractère conscient, et cette polarité détermine pourtant la prise de décision de l’action[62].

Comment concevoir le plaisir du principe de plaisir de telle sorte que l’indexation de l’économie psychique à la sensation de plaisir soit compatible, conceptuellement, avec la « jouissance…par lui-même ignorée »[63], dont l’horreur est exprimée par le visage de l’homme aux rats ? La non-contradiction n’est-elle pas importée d’une logique impropre à celle de la pulsion ?




Le besoin du corps




Ce que le malade appelle ici le « besoin »[64] désigne l’appétence pour l’acte sexuel, c’est-à-dire au fond le désir, ce que le sens commun comprend par le terme de libido. Notons, d’abord, que c’est la libido, en tant que sexuelle, qui est liée au plaisir psychique, ce qui invite à nous demander de quelle sorte de plaisir la libido du moi, pour autant qu’elle en soit distinguée, est capable. Ensuite, si la diminution de la libido constitue une baisse de plaisir psychique, c’est bien que le sexuel serait une donnée psychique, non que l’excitation somatique ne suive son cours, et c’est d’ailleurs ce que nous apprend Freud en l’occurrence, fondant la libido dans le corps. En effet, l’excitation somatique « de nature sexuelle » s’accumule, conformément à l’idée de travail que le corps impose à l’animique. L’âme calcule. Cette accumulation n’est pathogène lorsqu’elle est en « divorce [Entfremdung] » d’avec le psychique, ce qui conduit par ailleurs à la diminution de la libido. Par conséquent, la libido est bien une notion qui relève du psychique, la libido étant le « stimulus psychique » qui fait le désir.

La libido est psychique en trois sens. D’abord, la libido est psychique en tant que lieu de la sensation de plaisir, alors même que le cours de la libido peut être silencieux, ce qui questionne la nature de cette sensation. Ensuite, elle est le lieu de l’accueil et de la transformation, de la délégation pourrait-on dire, de l’excitation somatique en excitation psychique[65]. Cette idée de transposition rendant en quelque sorte caduque la nécessité de conserver l’origine pulsionnelle dans les profondeurs du corps. Enfin, elle exige, afin de se réaliser comme poussée ou tension, l’investissement du « groupe des représentations sexuelles présent dans la psyché »[66]. C’est dire qu’avant cet investissement et cette transposition, le « caractère de ce qui est poussant », qui est « l’essence »[67] des pulsions, n’existe pas, et que l’ordre somatique n’a pas de pertinence psychanalytique en l’occurrence.

Cette distance entre le pulsionnel et le somatique est déjà exprimée par Freud dans la mesure où il affirme que la connaissance des sources pulsionnelles n’appartient pas à la psychologie[68]. Mais cette distance est d’ordre épistémologique. Plus important est que la satisfaction, en tant qu’elle importe pour l’être humain, est distinguée de la décharge physique : il n’y a de sentiment de jouissance [Wohllustgefühl], qui correspond à l’entier plaisir de satisfaction et à la jouissance sexuelle, que si tout l’affect sexuel est élaboré par tout le psychique, ce qui suppose qu’il n’y ait pas de reste somatique non élaboré[69], ni qu’une autre tâche que la maîtrise de l’affect sexuel perturbe cette tâche, telle l’attention à la femme, donc qu’il n’y ait pas de reste non plus du côté psychique. D’où la position de la nécessité d’une action « adéquate » à la modification de la source somatique, action d’une seule nature possible, l’acte sexuel complet décrit dans les essais sur la théorie sexuelle.

L’absence de reste comme condition d’une satisfaction libidinale pleine, c’est-à-dire aussi psychique, semble bien idéale, et semble concerner le désir une fois abstrait de ses conditions de réalisation, ce qui rend la satisfaction telle qu’elle est définie ici improbable. La pulsion agit « toujours comme une force constante »[70], ce que Le Poulichet dit concerner le Trieb, « corps pulsionnel sans cesse en mouvement dans le langage »[71]. C’est le pointage du topos logique de la pulsion ici qui accentue cette improbabilité tout en en rendant raison. De plus, la force constante définie ici ne devient une force qu’une fois passé un certain seuil, qu’une fois devenue psychique, et n’est constante qu’en tant que son augmentation, variable hors-sujet[72] de la psychanalyse, l’est.

Dire que le Trieb est la cause de « tout le déploiement de la réalité psychique »[73] n’a de sens, en effet, que si le signifiant, incompris, ou non lié, est déjà impliqué dans l’excitation sexuelle dite somatique, ce qui suppose que l’on puisse lier cette excitation, dès avant le stimulus psychique qu’est la poussée libidinale, au « groupe des représentations sexuelles présent dans la psyché »[74], donc que l’on ne puisse concevoir la pulsion sans le signifiant, avant même toute ponctuation de la pulsion sur le mode d’une motion pulsionnelle. En ce sens, ce ne seraient pas les profondeurs du corps qui feraient le Trieb, mais l’inconscient lui-même. Ainsi, le caractère « aveugle » de la pulsion ne signerait pas la subordination de la pulsion au corps, mais l’indexation de la pulsion à l’ordre symbolique.


Pourquoi ne pas accepter, en effet, de « minimiser l’importance »[75] de la référence de la pulsion au corps, d’autant que le refoulement du corps comme lieu de l’existence animale fonde l’ère culturelle[76] ? Ce n’est ni le corps qui fait vivre, sinon les nourrissons n’auraient pas besoin de parole, ni le corps qui meurt, sinon nous serions interchangeables comme les mouches de Bataille, ni le corps qui jouit, ainsi que le montre Freud. Cette supposition n’est pas si difficilement déductible de la description freudienne de la libido, définie ici comme désir, et elle est cohérente avec ce que Freud décrit sous l’idée de « refoulement originaire »[77], qui lie la pulsion et le seul objet de l’analyse que semble être une représentance particulière. Si le qualificatif somatique ne nous permet pas de voir clairement le lien de l’excitation et du signifiant, il en est autrement du qualificatif sexuel attribuée à l’excitation : car le sexuel est ce qui est donné de l’autre comme signifiant incompris, ainsi que nous l’a montré Laplanche, incompris et inconscient même pour celui qui les donne, en même temps qu’il donne cet objet limite qu’est l’objet du besoin.

Que le besoin soit défini par Lacan comme un objet-limite, qui en quelque sorte n’appartient pas à la psychanalyse, et qui n’appartient pas à la psychanalyse parce qu’il n’existe pas comme besoin mais comme désir et demande d’amour pour le sujet qui parle, l’exclusion du besoin donc, du champ de la psychanalyse, remet en cause selon Patrick Miller « la théorie des pulsions », car cette exclusion remet en cause « toute conception freudienne de l’étayage du désir sur les besoins »[78]. La théorie des pulsions exige-t-elle l’intégration du besoin, référé à la nécessité naturelle ? Hors la référence initiale de la satisfaction au besoin[79], satisfaction dont nous avons vu qu’elle prenait pour modèle la jouissance sexuelle, elle-même définie comme non réalisée par la seule satisfaction physique, il n’est plus question du besoin dans l’article majeur sur les pulsions.

D’ailleurs, lorsque Freud, presque vingt ans plus tard, retrace l’histoire de la « doctrine des pulsions », assimilée à la « mythologie »[80] des psychanalystes, il ne confie plus le rapport de la pulsion à sa source à une autre discipline que la psychologie[81] et se contente de noter l’obscurité dans laquelle se trouve encore, alors, ce rapport, montrant par là que ce rapport n’est plus un enjeu pour la psychanalyse. Cette obscurité ne pose pas de problème à la psychanalyse tant qu’est établi, et c’est le cas, sous la forme même de « faits indubitables »[82], la plasticité pulsionnelle, ici illustrée comme adjonction de motions pulsionnelles et remplacement de satisfaction pulsionnelle.

Tour porte à croire qu’en posant la question du statut du concept de pulsion en psychanalyse, l’on se heurte à ce que Freud qualifie de mythologie, à la mythologie elle-même dans ses rapports à la théorie, et que l’indistinction[83] dans laquelle demeure le concept fondamental de pulsion, indistinction pourtant justifiée par Freud au cours du « progrès de la connaissance »[84] ainsi que l’illustre la science physique, que cette indistinction heurte notre volonté de savoir. De telle sorte que le heurt de cette indistinction et de notre volonté de savoir, volonté animée du désir de psychanalyse et savoir formé par la philosophie, doit bien signifier quelque chose de notre rapport à l’analyse.


L’exclusion du besoin opérée par la théorie lacanienne est pour Miller le signe d’une « haine du corps », haine du corps manifestée entre autres par la scansion de la séance analytique comme « agir haussé à la dignité de la technique », et fait de cette théorie une « théorie anorexique de la psychanalyse »[85].

D’une part, l’on peut s’interroger sur les critères de jugement par un autre de la technique analytique, alors que Freud, présentant sa méthode, la présente comme étant faite à sa propre main. D’autre part, si la théorie est marquée par des fantasmes organisateurs propres à son auteur, et sans devoir qualifier à notre tour la théorie proposée par Miller de son ouvrage, que faudrait-il exiger de la formation de l’analyste pour que son fantasme ne fasse pas obstacle à l’analyse ? Et si Freud, auto-analysé, et Lacan, insuffisamment analysé[86], par son analyste en tout cas, en tant que praticiens féconds d’autres analystes, ont pu créer, pour l’un, et recréer, pour l’autre, la psychanalyse, ne doit-on pas distinguer la théorisation comme ce qui est engendré par la pratique et qui constitue alors un matériau de sa direction, et la théorie comme produit par d’autres désirs que celui qui produit le maintien de la position de l’analyste, par exemple la Publikationslust[87] ? Le désir assumant la prise de position de l’analyste devrait être distingué de la nécessité, pour l’analyste, de communiquer à quelques autres son activité, ou des ressorts de la relation imaginaire à l’autre, et comme relevant de tous les malentendus et investissements doctrinaux possibles. Ne vaut-il pas mieux procéder à cette distinction, qui rend peut être difficile le discernement de ce qui tient à la communication de l’effort de théorisation dont il peut se retrouver quelque chose en d’autres, de ce qui tient à d’autres ressorts, plutôt que d’instaurer, entre anorexie et boulimie, la norme d’un bien manger théorique, qui s’apparente à une visée orthopédique de l’analys(t)e ?




L’affect de Lacan




Cette haine du corps saisissable dans la pratique et la théorie serait corrélative d’un rejet des « phénomènes psychiques aux limites du somatique que sont les affects et les émotions »[88]. Loin de penser l’affect en opposition à la symbolisation, l’affect serait alors selon lui « déjà une activité représentative », ce qui conduit à la valorisation de la régression réelle, qui est au contraire structurale[89] pour Lacan, et de la répétition vécue du passé, donc de l’exaltation du sentiment au rang de support et critère de la cure analytique. Reprochant à la pratique lacanienne de donner lieu à une « séduction traumatique », Miller note que la transmission de ces pratiques est assurée par ce critère traumatique de la séduction initiée par ces pratiques.

L’on peut à ce propos se demander s’il y a une séduction autre que traumatique. Selon Laplanche, ces termes sont « synonymes » : le traumatisme « objective » ce que la séduction « inter-subjective », et tous deux doivent ainsi être pensés sans drame. Bien sûr, il s’agit ici « des situations de base »[90], et non du rapport de l’analyste et de l’analysant. Quand bien même, l’amour, ça rend fou.[91]


Qu’en est-il de la transmission de la théorie de Lacan relative à sa pratique ? D’abord, l’auteur met en valeur ici la pratique plutôt que la théorie, alors qu’il ne les distingue pas dans sa critique, ensuite, la pratique et la théorie ne semblent pas dissociables, donc comment critiquer l’un par l’autre, enfin, le discours des Séminaires et l’écriture des Ecrits ont pour objectif de mettre en œuvre la capacité analysante du lecteur, ce qui permet la distinction du psychanalyste et du maître. D’ailleurs, dans une stricte cohérence entre son enseignement et son objet, Lacan demande à ses auditeurs de lui attribuer de la « bonne foi », ce qui ne l’empêche pas de viser qu’ils se rendent compte que l’Autre, Lacan, a lui aussi à « s’en dépatouiller »[92], des voies de son désir, y compris d’enseignement, comme tout Autre.

N’y aurait-il pas alors un contresens à saisir la pensée de Lacan comme une doctrine et quel serait le rapport ni oublieux ni doctrinaire qui permettrait, au discours de Lacan comme au discours de Freud, si l’on postule qu’ils font tous deux partie de la même histoire, qui permettrait donc de mettre au travail les parcours, détours et impasses de leurs pensées, sans devoir seulement être les répétiteurs de leurs conclusions ? Car la théorie comme ensemble de propositions peut être considérée presque comme une défense contre l’effet de vrai et le moment de la découverte qui sont, dans la cure, les voies de la modification structurale du sujet en analyse. La théorisation analytique serait ainsi fondamentalement un paradoxe : une « obligation »[93] et une impossibilité, ou, tout au moins, un effort nécessaire dont ce qui en est issu, s’il est pris comme résultat, fait obstacle à la position de l’analyste.

Sa critique nous renvoie par ailleurs au rapport de l’analyste et de la demande d’amour du patient au sein de la cure, demande d’amour comme vecteur de l’effet thérapeutique du transfert, demande d’amour qui selon Lacan ne doit pas annihiler l’en-deçà de la demande, à savoir le désir.

Ni son analysant, ni son contrôlé, mais en « transfert de travail » avec Lacan, Granoff put dire de lui qu’il « était suprêmement séduisant »[94] : le rapport indéniable de la séduction et du transfert dans l’analyse impose, d’abord, de mettre au travail le rapport de la séduction et du désir de l’analyste, afin de mettre au jour ce qui fait que l’on désire être cet objet singulier qu’est l’analyste pour les analysants, ensuite, de mettre en évidence ce qui, de la séduction, est en acte dans l’être-avec propre aux sociétés analytiques, dont le choix peut, éventuellement, remplacer l’élection d’un maître[95].


Que l’affect relève déjà de la représentation et du psychique impose de revenir à la double définition de la pulsion par Freud, dans Pulsions et destins de pulsions et Le refoulement. Dans ce second article, l’affect est explicitement distingué de la représentation, en tant que « montant d’affect »[96], modalité quantitative de la représentation. Cet affect défini comme représentance psychique et en même temps comme élément autonome, puisqu’il constitue l’essentiel du refoulement[97].

A quoi peut correspondre, dans la théorie lacanienne, qui s’adresse à Freud en tant que grand Autre, à la fois l’origine et le destinataire de son discours, la pensée de Freud se trouvant transformée par la pensée qui prend son œuvre comme ensemble de coordonnées symboliques, à quoi donc peut correspondre chez Lacan l’affect, qui prend dans la description freudienne du refoulement une telle importance ? Car l’on part du principe que la lecture de Freud par Lacan a quelque pertinence, sans quoi il faudrait exclure l’un ou l’autre de l’histoire de la même science. Comment donc lire l’affect freudien à la lumière de la pensée lacanienne de l’inconscient ?



Du sexuel




Par ailleurs, prendre pour modèle de la satisfaction la satisfaction sexuelle ne réduit pas l’ordre du sexuel au génital, même en 1898, avant la mise au point quant à la perversion polymorphe de l’enfant, comme le montre la façon dont Freud définit le sexuel lors de la construction de la catégorie de la névrose d’angoisse : hors de toute étiologie sexuelle, une névrose peut présenter « un mécanisme sexuel »[98], dont l’essence est la dérivation du psychisme qui l’empêche de maîtriser l’excitation sexuelle somatique. Le degré de réussite de cette maîtrise est restitué, c’est-à-dire transposé sur un autre plan, par « les sensations de la série plaisir-déplaisir » : quel est alors le sens du caractère sexuel du mécanisme produit par le divorce du somatique et du psychique, et son lien à la dérivation et au principe de plaisir ? La représentation, une fois refoulée, dérive, au sens où elle se lie avec tout ce qui est possible, à l’écart du conscient[99]. Il n’est pas question ici encore de cette sorte de dérivation. Mais l’on voit ici que la description freudienne met en place les données d’une division du sujet d’avec lui-même, par la caractérisation du sexuel au moyen de la dérivation.


Se débarrasser du corps, corps ici sous la forme de l’excitation et du plaisir, n’est pas chose aisée car, tout de même, et non indépendamment de la difficulté qu’il y a à saisir le critère du sexuel dans le discours freudien, le corps et ses possibilités de plaisir sont à la fois le lieu d’origine irréductaible et le destinataire des processus de sexuation. Or, le fait que la sexuation soit « un fait biologique » « difficile à saisir » « par la psychologie »[100] n’empêche pas Freud de définir les devenirs psycho-sexuels du petit garçon et de la petite fille à partir de l’anatomie, facteur majeur du destin de l’identité sexuée, alors même que ces devenirs sont justement psycho-sexuels et sont produits par le discours de l’autre. En outre, ces définitions sont subordonnées à des principes particuliers tels la prévalence de la pulsion scopique. L’arrêt de l’analyse est d’ailleurs marqué par l’atteinte du refus du féminin, fait biologique identifié au roc d’origine du psychique[101]. Le biologique est ainsi le fondement du psychique. Comment relier cette fondation et la définition de ce qui appartient à l’ordre du sexuel par la dérivation ?

Au fond, l’on se demande quel est alors le rapport du sexuel et du sexué. Freud regrette l’obscurité dans laquelle se trouve encore, en 1929, la « doctrine de la bisexualité », qui est ici l’enjeu de sa remarque quant à la sexuation, ainsi que l’absence de rapport établi par la psychanalyse entre cette doctrine et « la doctrine des pulsions ». Cette mise en rapport est en effet impossible si la sexuation est définie uniquement comme un fait biologique, de même que si l’on origine la pulsion dans l’ordre des besoins. Freud se réfère ici aux « souhaits aussi bien masculins que féminins » de « l’individu », le Wunsch prenant la place du désir dans le lexique freudien.

Selon Laplanche, « la pulsion est sexuelle sans, pour autant, être au départ sexuée »[102], l’auteur faisant ici référence à l’identification primaire aux deux parents de sexe opposé. Cette distinction implique une sexualité sans sexuation, sexualité issue des « messages sexuels inconscients » ou « signifiants énigmatiques »[103] apportés par les adultes et matière de ce qui deviendra le « groupe des représentations sexuelles présent dans la psyché »[104]. Le caractère sexuel est en somme constitué par le rapport à l’Autre, conformément à la façon dont Lacan définit l’essence sexuelle de la demande[105] par « une relation polaire » et le don du corps, du corps de l’érogénéité. Cette polarité, qui fait l’entre-deux sujets, est-elle sans rapport avec la sexuation, c’est-à-dire sans tiers ? Le caractère sexué lié à cette polarité ne semble pourtant pas exempte de la référence du corps au tiers phallique.

Mais il reste que cette présence de la référence au corps corrélée au rapport à l’autre, tous deux fondant le caractère sexuel de la demande, n’explique guère le rapprochement des corps, en-deçà même de l’explication de la béance que constitue le rapprochement des sexes. Le rapport du rapprochement des corps à la formation de la demande « au niveau du même organe, où s’érige la tendance » n’est pas explicité par Lacan. De cette détermination du caractère sexuel de la demande ressortent ainsi deux questions : le rapport entre la tendance ou pulsion et le rapport à l’autre toujours déjà présent, et le rapport du rapprochement des corps et du rapprochement des sexes.


Si la pulsion peut être qualifiée de sexuelle dès avant « la synthèse une fois accomplie »[106] des pulsions issues des sources organiques, dès le départ donc, et que le plaisir d’organe est qualifié de sexuel, car aucune autre qualité ne peut lui être associée en toute connaissance de cause[107], alors l’on peut s’interroger, d’une part, sur le caractère sexuel des représentations dont le groupe est l’objet de l’investissement nécessaire afin de produire « l’état psychique de tension libidinale »[108], c’est-à-dire le désir, d’autre part, sur le rapport de ce plaisir d’organe et des signifiants sexuels incompris reçus par l’enfant de la part des parents, signifiants issus de « l’inconscient sexuel de l’autre, adulte »[109].

Nous avons vu que, pour Freud, le plaisir psychique est déterminant quant à la satisfaction, au-delà de la décharge physique : c’est dire que le plaisir est de nature psychique, car son absence produit l’« impuissance psychique » caractéristique de la civilisation au temps de Freud[110]. Il semblerait donc que le fait de rapporter la pulsion sexuelle à sa source, ou au plaisir d’organe, ne permette pas de saisir la pulsion, et que le découpage des zones érogènes relève de la demande et de l’inconscient sexuel de l’autre, soit, de l’ordre symbolique. L’érogénéité ne relèverait ainsi que d’une transmission, d’une transmission dont on peut interroger le caractère générique : ne peut-on penser que d’autres zones érogènes que celles décrites par Freud se trouvent inclues dans la sexualité post-pubertaire ?

Selon Monique David-Ménard, le « plaisir n’est pas plus physique que psychique », ce terme « renvoie…aux configurations - scénarios et récits - qui déterminent la jouissance sexuelle d’un être humain et qui définissent ce qu’il ou elle appelle être homme ou être femme »[111] : la mise en relation du plaisir et de ce qui relève de l’ordre du fantasme permet ainsi de signer l’identité sexuelle et sexuée, hors de la dichotomie soma/psyché. Ces scénarios et récits n’ont pas besoin d’être sexuels en eux-mêmes, au sens de génital. C’est pourquoi les symptômes peuvent constituer la forme de satisfaction sexuelle des patients et sont issus de fantasmes[112].

Ces fantasmes doivent-ils être inconscients afin d’être l’index de la configuration individuelle et identitaire de la jouissance ? Il semble que ce soit leur caractère inconscient qui les fait porteurs du désir ? Ce serait la raison pour laquelle, selon Laplanche, les scénarios inconscients ne peuvent être réduits, comme le suggère Widlöcher, à des actes de pensée similaires à ceux des scénarios conscients[113].




La représentance




C’est en effet sous la forme de scénarios que les destins de pulsions sont exposés dans Pulsions et destins de pulsions. Examinons les définitions freudiennes de la pulsion afin de préciser les rapports du psychique et du pulsionnel, rapport qui a permis dès le début de l’article de délimiter le champ de la pulsion. Car nous voulons savoir ce qui justifie la détermination de l’affect comme déjà de nature représentative et psychique, détermination qui justifie, comme nous l’avons vu, pour Miller, la prise en compte de l’affect au cœur de la direction de la cure, ce que refuserait Lacan par haine du corps[114]. L’intégration de l’affect dans les théories et pratiques analytiques est-elle nécessaire afin de sauver la théorie freudienne des pulsions ? La cure analytique ouvre de nouvelles possibilités de plaisir, et des chemins plus courts menant à la satisfaction : cette ouverture exige-t-elle, comme condition, l’intégration de l’affect dans le dire analytique, et sous quelle forme ?


Il paraît impossible de superposer, et difficile de concilier, la définition de la pulsion dans l’article sur les destins de pulsions et sa définition dans l’article sur le refoulement.

En effet, dans le premier, la pulsion est un « concept-frontière », « représentant psychique des stimuli issus de l’intérieur du corps »[115], dans le second, la pulsion a une « représentance psychique »[116] double, un groupe de représentations et un montant d’affect, le premier étant investi par le second, identifié à la libido.

D’une part, la libido est rapportée à ce qui fait l’objet essentiel du refoulement quant à sa levée dans la cure, c’est-à-dire l’affect : la libido est de l’énergie pulsionnelle, conformément à l’idée de libido psychique, ou, ici, intérêt, qui émerge lors de la description par Freud, bien antérieurement, du désir comme résultat d’un excédent d’excitation[117].

D’autre part, avoir une représentance et être une représentance psychique n’est pas du tout la même chose : si la pulsion a deux représentances, toutes deux psychiques, notons-le, représentances qui aspirent toutes deux la totalité de son contenu conceptuel, sa notion n’apparaît qu’être le produit d’une construction, utile quant à l’exposé métapsychologique, mais qui met en garde contre toute tentative d’en faire une substance agissante au cours de la cure et indépendante de toute transposition. Et, surtout, si la représentation et l’affect représentent la pulsion comme le moi représente [tous deux du verbe repräsentieren] le monde extérieur[118], l’on voit bien à quel point ce qui tient lieu du pulsionnel pour le sujet est émancipé de ce qui est censé être le résultat du travail du corps.

Enfin, la notion de représentance, déclinée, en « représentance de représentation »[119] et représentance d’affect, déjoue par elle-même l’idée de concept-frontière plus ou moins mythique entre corps et âme. Car elle a le sens d’une délégation, d’un tenant-lieu, d’une présentation plus que de la représentation d’une substance qui en constituerait l’arrière-fond. La pulsion n’est pas au milieu du corps et de l’âme comme la glande pinéale de Descartes, et ne représente pas le corps dans l’âme : peut-on dire qu’elle est tout entière dans le fait de l’investissement du tenant-lieu qui est de l’ordre de la représentance, cet investissement constituant le fait même qu’il y a de la libido ?


Toutefois, notons que Freud récuse avec force, dans son débat avec Jung, l’identification de la libido à l’énergie pulsionnelle. Cette récusation a pour objet la sauvegarde de trois éléments : le concept freudien de libido[120], la diversité pulsionnelle[121], ainsi que l’utilité thérapeutique de la théorie psychanalytique[122]. Cette récusation a conduit, dans un premier temps, à l’introduction du concept de narcissisme, dans un second temps, à l’introduction du concept de pulsion de mort[123]. D’où l’on voit que ce à quoi aboutit cette défense, l’oxymore qu’est la formule « pulsion de mort », semble réduire à néant l’hypothèse selon laquelle la pulsion serait tout entière dans l’investissement d’une représentation ou le surgissement d’un tenant-lieu du corps, voire le fait même de la poussée qui fait l’essence de la pulsion. A tenter de saisir la pulsion sans le corps, ne nous trouvons-nous pas prêt à nier son essence et à faire de son unique ressort les jeux de langage ?

Par ailleurs, qu’il y ait de la libido, de l’intérêt comme dit Freud, du désir, le fait même de la vie, ne peut qu’être hors-signifié. C’est pourquoi, c’est la mort que Lacan appelle le dernier mot « de la vie, du vécu, du flux des émotions, du flux libidinal »[124], dernier mot qui est le fondement de l’introduction du signifiant dans le monde. Dire avec Miller que l’intégration de la théorie freudienne des pulsions dans la psychanalyse exige d’interpréter ce vécu et ce flux dans le maniement de la cure supposerait ainsi que l’on prétende symboliser le non-symbolisable : quel devrait alors être le rapport de l’analyste à la vie pour que cela fut possible ? Il semble au contraire que ces données relatives à l’affect tel que Freud le conçoit ici puissent se modifier par la restructuration symbolique par le symbolique du patient au cours de la cure : la nécessité de concevoir l’affect ou le montant d’affect comme autre tenant-lieu pulsionnel pourraient signifier le fait de l’intégration des représentances de représentations investies par le sujet au sujet même.

C’est pourquoi il n’est peut-être pas nécessaire de penser le parcours du « trajet qui va de la représentation de mots au représentant psychique de la pulsion « à la limite du somatique » »[125], sauf à penser ce dernier seulement comme représentant refoulé, sans appel au somatique. Car cet appel restitue l’ambiguïté, léguée par les écrits théoriques de Freud, au concept de pulsion. L’affect comme objet d’interprétation n’est nécessaire que là où le mot est contingent, alors que la psychanalyse est née de ce qu’un nombre peut avoir la même valeur factuelle qu’un échantillon de matière chimique. La pulsion est tout entière psychique et n’est divisée comme concept que pour signifier l’effectivité de l’investissement du signifiant, l’advenue du sujet à l’ordre symbolique.

Si tel est bien le cas, l’on pourrait dire que le discours métapsychologique sur les pulsions justifie le fait qu’il y a quelque chose comme la libido, que la libido existe comme donnée psychique corrélative à la vie en tant qu’humaine, c’est-à-dire en tant que désir, tout comme la théorie « justifie », comme le dit O. Mannoni, « le fait que les rêves soient interprétables ».


Pour autant, l’affect a, dans la pensée freudienne, un destin décisif, notamment et peut-être tout uniment sous la forme de l’angoisse, quant au diagnostic, à la thérapeutique et à la théorie, des études sur l’hystérie à, par exemple, Inhibition, symptôme et angoisse, et il est, comme le rappelle Freud dans l’article sur le refoulement, le critère de la réussite du refoulement, donc le critère des conditions de la maladie psychique.

Ce que Miller pose, à la suite de la critique qu’il fait subir au discours lacanien, comme devant constituer l’ordre des données pour l’analyse, n’est pas la réalité psychique, et précisément pas la réalité psychique telle qu’elle est définie par Lacan comme le lieu de venue à la présence de la pulsion, mais la « réalité somato-psychique »[126]. Cette définition de ce qui doit être l’objet de l’attention de l’analyse s’autorise de la définition freudienne de la pulsion comme concept frontière, d’où la reprise par Miller de la définition de la réalité psychique « comme étant à la limite du psychique et du corporel »[127].

Mais que la pulsion soit définie ainsi selon l’article sur les destins de pulsions, et que cette définition laisse, encore même dans la conférence sur l’angoisse et la vie pulsionnelle, comme nous l’avons vu, cette double appartenance dans l’obscurité, n’implique pas que la réalité psychique doive être définie ainsi. Par ailleurs, que propose Miller comme axes d’analyse à la suite de la position de la réalité somato-psychique comme corps de la direction de la cure ? Rien de moins que l’accueil des caractéristiques de la présence, la sienne et celle de l’analysant, jusqu’à ce qui se trouve hors transfert[128] : par exemple, « une inflexion de voix », « un soupir », « la lenteur d’un geste », ce que Miller résume par l’expression « la coloration affective de la présence »[129]. Ces éléments supportent d’ailleurs selon lui « les plus tenaces » éléments de l’identification à l’analyste, autant dire, en l’occurrence, la transmission d’un style.

La coloration affective de la présence peut être traduite, en langage phénoménologique, comme Stimmung, mode en lequel l’être vient à la présence, et la Stimmung est bien une dimension essentielle de l’exister humain, et de l’être-avec d’autres. Cependant, pour Lacan, qui selon Miller refuse les bases de ce que serait l’essentiel « toucher psychique »[130] de l’analyste, toucher analogue au holding, l’affectif n’est en rien « une sorte de coloration, de qualité ineffable qui devrait être cherchée en soi-même »[131] et opposée à l’ordre de l’intellectuel, relatif au sujet. L’interprétation, par Lacan, à l’aide du commentaire de Jean Hyppolite, du texte de Freud intitulé La négation, lui permet de construire une appréhension de l’affectif bien autre que celle qui relève du phénoménal : l’ordre de l’affectif dans ce texte de Freud relève selon Lacan de la symbolisation primordiale[132] ou Bejahung, qui permet que « le sujet se compose un monde, et surtout, qu’il se situe dedans »[133], comme homme ou comme femme. L’ordre affectif serait ainsi celui qui se révèle décisif quant à la structuration psychique la plus fondamentale du sujet, c’est-à-dire par exemple quant à la possibilité de développer une psychose dans le cas d’un défaut majeur de Bejahung (en-deça de trois pieds, la tabouret de la symbolisation a du mal à tenir debout[134]) ou quant au noyau psychotique de tout névrose si l’on se réfère à ce qui est rejeté par tout sujet lors de la symbolisation et qui est relatif à la fondation d’une relation commune au monde et à la relation préoedipienne à la mère.

Pour en revenir à la notion de présence et à ces rapports au transfert, Lacan justement fait mention de la présence de l’analyste au cours de sa réflexion quant au concept de résistance : la présence est alors pensée « avec tout ce qu’elle comporte de mystère »[135], ce qui implique que le rapport quotidien à l’autre s’en débarrasse afin que le vécu suive son cours. Du coup, la présence de l’analyste est saisie authentiquement (ou sur un tel mode qu’elle mène à la possibilité d’une interprétation efficace) quand elle est saisie en tant que telle par le patient, ce qui constitue selon Lacan, s’autorisant alors d’un écrit technique de Freud, le surgissement du « transfert »[136] au cœur de la résistance, de même que la paix du soir n’est saisie comme présence qu’en rupture d’avec le vécu quotidien, « quand elle est hors de notre champ »[137] dit Lacan.

Ainsi le sujet humain ne peut être circonscrit à l’être humain en tant qu’être vivant pour l’expérience analytique ainsi que pour la théorie analytique, qui n’a rien d’une pensée de l’être. C’est aussi pourquoi il faut se méfier de la théorisation d’une chose comme la présence, dont la connotation métaphysique est majeure[138]. C’est en rapport au désir que doivent être analysées les notions mises en évidence. L’on ne peut par conséquent se contenter d’identifier l’affect au fait de l’investissement libidinal.

Par ailleurs, si le discours théorique sur les pulsions justifie le fait qu’il y a quelque chose comme la libido, sur le modèle de la théorie qui, selon Mannoni, justifie l’interprétabilité des rêves, il ajoute à ce propos que la théorie « ne peut aller plus loin »[139]. Qu’est-ce qui peut alors justifier un emploi, au cœur même de l’interprétation, et de la théorie, comme s’y livre par exemple Edward Glover dans Technique de la psychanalyse[140], de la notion construite de pulsion alors que cette notion, en tant que construite, renvoie tout aussi bien « à une logique qui est celle de l’inconscient » qu’à « ce noyau de vérité qui est présent dans tout délire »[141] ?




Le topos de la cure




Corrélativement à l’interrogation que nous menions quant au rapport de la théorie des pulsions et du réel, un des enjeux de la critique de Lacan par Miller est le mode en lequel il faut concevoir la régression dans la cure : pour Lacan, elle n’est que formelle, alors que, pour Miller, elle est réelle[142], pour Widlöcher par exemple, il s’agit d’une des « commodités conceptuelles »[143] dont le discours de Freud fait montre. Un des enjeux principaux de l’efficace de la cure analytique, dont on peut dire qu’il constitue la principale question de la théorie analytique ainsi que le montre le fil directeur des Séminaires et écrits lacaniens qui l’ont fait revivre, est contenu dans cette caractérisation de la régression et dans la conception du réel.

Niant la distinction que Lacan opère entre le réel conçu au moyen du concept de Verwerfung et la réalité, mais utilisant le mécanisme pointé par Lacan dans le premier quant à la psychose, Miller peut dire que les affects que Lacan a rejeté de sa théorisation firent « retour sur la scène de la réalité », sous le forme d’agirs qui prennent valeurs de « représailles haineuses »[144]. Ce serait ainsi la haine ou expulsion du corps, et de l’affect des ordres pratique et théorique de l’analyse, qui ressurgirait comme un affect de haine, affect de haine qui donnerait forme à la pratique lacanienne. L’on peut se demander, à ce propos, si, dans le texte freudien, la haine est bien un affect.

Toutefois, bien que le terme de réalité et l’adjectif réel utilisé comme déclinaison de cette réalité soient tous deux fréquemment employés par Lacan dans ses discours oraux, le mécanisme auquel Miller fait ici allusion ne se rapporte pas à ces termes en tant que relatifs au monde en tant que quotidien. En effet, ce mécanisme est la voie par laquelle Lacan construit le concept de réel qui lui est propre, et qui désigne ce dans quoi ressurgit ce qui fut exclu de la constellation symbolique du sujet. Ce qui est exclu relève ainsi de l’ordre symbolique. La Verwerfung[145] est la marque d’un défaut de Bejahung au sens de l’appropriation d’un signifiant primordial. Le réel défini comme ce dans quoi ressurgit ce qui a été rejeté du Je n’est pas de l’ordre de l’effectivité pensée comme opposée au symbolique et les objets auxquels nous avons affaire au quotidien sont le résultat de l’intégration, par le sujet, des données de l’ordre symbolique.

La preuve en est que le petit Dick, dont Lacan commente le cas dans le premier livre du Séminaire, et dont le psychisme fait montre d’un défaut de symbolisation auquel Mélanie Klein remédie avec grande efficace, n’a affaire avant cette intervention qu’au réel, et ce réel n’a rien à voir avec celui qui nous permet d’agir dans le milieu commun par le partage des modalités quotidiennes de fonctionnement des objets. Le parallèle établi entre la causation de l’hallucination et les raisons du style de Lacan comme analyste suggère qu’il y aurait quelque chose de fou dans l’agir lacanien. Cette folie ne désignerait pas l’analogie présente entre la construction analytique et le délire[146], et elle aurait pour conséquence un laisser pour compte de l’ordre affectif chez l’analysant, ordre qui prendrait le visage de l’humanité opposée à la froideur de la logique signifiante. Or, c’est exactement ce dont il s’agit dans le questionnement qui surgit quant à la façon dont est assumé, par chaque analyste, l’héritage freudien quant au concept de pulsion : si l’on abandonne la source somatique de la pulsion, n’abandonne-t-on pas ce qui fait son caractère réel ?




Le réel de la pulsion




L’on voit à quel point il est difficile d’éliminer le corps de la référence à la pulsion. En effet, Laplanche définit les objets de la pulsion comme des signifiants sexuels incompris issus de l’autre, signifiants que l’enfant intègre peu à peu. Cette intégration respecte la définition lacanienne selon laquelle le ça est ce qui est capable de devenir Je[147]. Ce devenir est le processus par lequel les signifiants sont intégrés à la structuration symbolique du sujet, processus dont les défauts quant aux signifiants primordiaux produisent une forclusion.

Mais, lorsque Laplanche, dont nous avons déjà vu que le propos pose tout bonnement la nature comme ce qui fait des zones érogènes des lieux d’organisations des fantasmes, rattache l’intégration des signifiants au corps, il se défend alors de présenter « une théorie intellectualliste ». Cette intégration, ici définie comme « traduction », de la part de l’enfant, ne doit pas être conçue « comme faite de mots, ou même de pensées », car elle fait appel « aux capacités, au niveau des réactions somatiques, affectives et représentatives que l’enfant a atteint »[148].

Il est intéressant de voir émettre l’idée que cette intégration s’effectue sans pensées, si l’on considère que, transposée à la situation de la cure analytique, l’intégration du refoulé au sujet, pour parler en termes freudiens, autrement dit la modification des possibilités de plaisir, c’est-à-dire de l’économie libidinale, se produit aussi, fondamentalement, sans mot, sans pensée, c’est d’ailleurs précisément ce qui meut l’interrogation quant aux principes de son efficace. Mais cette transposition n’est possible que si l’on oublie la bipartition fonctionnelle selon laquelle la Verwerfung est propre à la psychose, la Verneinung, à la névrose, et si l’on élargit la première à toute construction psychique, ce que n’interdit pas par ailleurs le discours lacanien.

Les capacités auxquelles cette intégration, non intellectualiste mais symbolique en quelque manière, fait appel, ne sont rien moins que les délégués qui sont le tout de la pulsion elle-même telle que Freud la définit dans l’article sur le refoulement, c’est-à-dire la représentation et l’affect, et ces tenants lieu de la pulsion sont appelés au niveau des réactions somatiques. Notons pourtant que l’article sur le refoulement mentionne non l’affect isolément mais le montant d’affect, en référence au calcul de l’âme mentionné ci-avant.

D’abord, la pulsion est considérée ici par Laplanche comme non psychique au sens large, puisque c’est elle, et non les mots ou les pensées, qui permet la liaison des signifiants au sujet, alors que nous avons vu que les deux variables pulsionnelles étaient de nature psychique. Ensuite, la pulsion est appelée, d’une part, comme capacité, et comme capacité de liaison, alors que l’on pourrait penser que cette faculté est le plus souvent prescrite au moi, d’autre part, dans le registre du corps, comme si la pulsion pouvait être appelée ailleurs qu’au niveau du corps, mais dans le sens du désir. Enfin, la traduction des signifiants est censée avoir lieu sans pensée mais leur liaison exige la mise en œuvre d’une capacité représentative.

Par conséquent, cette défense du caractère intellectualiste de la théorie des signifiants énigmatique permet d’exposer la nécessité de l’investissement libidinal des signifiants, mais non de l’expliquer, et est peu claire quant au rôle à attribuer au corps et quant au rapport de la pulsion et du corps.

Evidemment, et nous avons commencé par là, la notion de réel n’est pas, chez Lacan, univoque : c’est qu’il ne s’agit pas de construire un système philosophique, et la nécessité qu’il y aurait d’en tracer des contours conceptuels fixes ne serait que le résultat de l’importation d’une méthode et d’une exigence là où la théorie d’une notion en psychanalyse est mise au service et doit être mise au service de la pratique analytique. Il reste que le réel, dans lequel, seul, vit tout d’abord le petit Dick, est symbolisé à partir de la loi apportée par Mélanie Klein, ce qui fait de la réalité commune et quotidienne un produit de la symbolisation du réel.

Le réel est ainsi à la limite de ce qui est symbolisable, soit comme résultat de ce qui est exclu de la symbolisation, dans l’hallucination, soit comme ce qui exige la symbolisation afin de devenir le réel commun, c’est-à-dire la réalité. Cette première notion du réel est rendue nécessaire par la théorisation de la psychose, qui vise la mise en évidence de l’exigence, pour l’analyste, de ne pas se laisser noyer dans les significations des productions psychotiques, la seconde, afin de montrer le rapport qu’il y a entre la loi symbolique fondamentale de la psychanalyse et la constitution du monde. Ces deux notions démontrent, dans une perspective clinique donc, que ce qu’on appelle la réalité est de nature psychique et que le réel est à la limite de l’expérience analytique comme de l’expérience quotidienne, c’est-à-dire commune.




Le monde




Or le réel est en jeu directement dans l’article sur les pulsions, lors de la constitution de l’objet par le moi, et le réel est revendiqué, dans la théorie analytique comme ayant pour arrimage la source somatique, source correspond alors au versant affectif de la pulsion, dont la forclusion dans la théorie serait imputable à Lacan.


Qu’en est-il chez Freud lui-même, du traitement de la distinction entre l’affectif et l’intellectuel ? Dans La négation, du commentaire duquel Lacan s’autorise lors du discernement des enjeux, pour l’appréhension de la psychose, du mécanisme de la Verwerfung, distincte de la Verneinung, Freud désigne la négation ou dénégation comme étant un mode de séparation de la fonction intellectuelle et du processus affectif [149]: cette fonction intellectuelle accepte le refoulé sur un mode négatif.

L’essentiel du refoulement, lui, persiste, et, comme l’indique l’article sur le refoulement, il s’agit de l’autre tenant lieu de la pulsion, qui persiste, le montant d’affect, qui constitue ce qui n’est transformé que partiellement lors de la transformation pulsionnelle[150]. La fonction intellectuelle du jugement porte sur deux éléments, relatifs à une chose : l’attribution qui peut être faite, ou non, d’une propriété, et son existence, en dehors du moi ou non. Le jugement est ainsi le « développement ultérieur »[151] des intro/pro-jections caractéristiques des « motions pulsionnelles orales », intro/pro-jections précisément décrites dans l’article sur les pulsions comme productrices du développement du « moi-réel initial » en un « moi-plaisir purifié »[152]. Ce développement du moi, développement qui conduit à la constitution de l’objet, attribue la propriété d’être bon à ce qui est source de plaisir, d’être mauvais à ce qui est source de déplaisir. Le moi se purifie ainsi du déplaisir : ce développement est donc le résultat de la mise en œuvre du principe de plaisir.

Remarquons que le développement du moi introduisant l’objet chez Freud n’est pas incompatible avec la détermination, par Lacan, du réel comme ce qui est perdu lors de l’intégration du signifiant à la constellation symbolique du sujet. Nous croyons même que cette définition est la traduction même de ce développement décrit par Freud : il s’agirait exactement du même processus. Car ce qui est extérieur et qui fait monde pour le moi-sujet « se divise…en une part-plaisir qu’il s’est incorporée, et un reste qui lui est étranger » : nous pouvons considérer que l’incorporation de la part-plaisir de l’objet correspond à l’assomption d’un signifiant primordial par le sujet, assomption dont le défaut ou la défaillance (la Bejahung est toujours, par ailleurs, plus ou moins réussie[153]) est la condition de l’hallucination, et que le caractère étranger du reste de l’incorporation de la part-plaisir, reste de l’assomption symbolique, correspond à ce qui chute du fait de la symbolisation, ce qui est perdu lors de la constitution du monde commun.

Le pari de la psychanalyse tient d’ailleurs tout entier, en tant que pratique efficace, dans la relation qu’elle instaure entre le noyau de la loi symbolique apportée exemplairement au petit Dick par Mélanie Klein, loi du complexe d’Œdipe, et l’être au monde humain. Notons que la constitution d’un être au monde commun s’effectue à partir de la loi symbolique essentielle, qui est ainsi également la loi de la symbolisation au moyen d’ « équations », qui sont des mises au point d’ « équivalences »[154] entre des objets, et que ces équivalences sont d’ordre imaginaire : la constitution des objets du monde par le moi-sujet implique la mise en œuvre des fantasmes.


Que nous apprend le passage par le texte sur la négation quant à l’affect ? Peu de chose, semble-t-il, puisque le jugement d’attribution relève de la fonction intellectuelle, et non de ce qui fait l’essentiel du refoulement et qui, à l’époque de l’article sur le refoulement, est ce qui peut se transformer en angoisse. Mais le fond psychologique de la fonction du jugement relève de motions pulsionnelles dites orales qui, au contraire des motions pulsionnelles sadique-anales, ne font pas l’objet de l’examen des destins pulsionnels dans l’article sur les pulsions.

La raison en est qu’elles forment une sorte de structure qui transcende en quelque sorte les destins pulsionnels, comme le montre l’histoire des stades de l’amour et de la haine dans l’article sur les pulsions. Nous voyons donc dans le développement du moi, présenté par Freud comme l’entrée dans le stade d’objet, développement dont la présentation passe le terme de pulsion sous silence, silence qui nous interroge quant au rapport de ce développement du moi et du destin pulsionnel, nous voyons ce développement comme l’effet des motions pulsionnelles orales, ainsi que le désigne Freud dans l’article sur la négation. Premièrement, il s’agit de motions pulsionnels orales, non de la pulsion orale, et, en effet, comme la pulsion de regarder ou le sadisme, dont des possibilités de destins sont décrits dans l’article sur les pulsions, le jugement d’attribution est exprimé par Freud sous forme de phrases telles que « cela je veux le manger »[155]. Cette phrase est prototypique de la motion pulsionnelle à laquelle les thérapie et construction analytiques ont affaire, comme par exemple « une position libidinale envers le père »[156].

Mais les motions pulsionnelles orales à l’œuvre dans ce développement du moi sont bien d’un autre ordre que les suivantes, puisque, d’abord, elles fondent l’introduction de l’objet, ensuite, elles ponctuent le devenir libidinal général, comme le montrent les ajouts dans les essais sur la théorie sexuelle, ajouts postérieurs à la théorisation du développement libidinal par Abraham, c’est-à-dire après 1924, enfin, elles constituent les stades préliminaires de l’amour et de la haine, préliminaires au stade génital, qui est le temps pertinent quant à l’amour selon Freud. En effet, l’incorporation, qui correspond à l’introjection de la part-plaisir de l’objet, est le premier stade de l’aimer[157].

L’expulsion de ce qui est source de déplaisir dans « l’intérieur propre » du moi pourrait ainsi être assimilée au premier stade de la haine si l’on doit maintenir une symétrie fonctionnelle entre et l’amour et la haine dans la théorie. Toutefois, en l’occurrence, ce n’est pas à cette expulsion que Freud identifie le premier stade de la haine, mais à « la récusation…du monde extérieur dispensateur de stimulus », à « la réaction de déplaisir suscitée par des objets »[158]. Et il n’est pas question explicitement du déplaisir apporté par les objets offerts au moi lors de la description du développement en moi-plaisir purifié : Freud ne précise pas ce que le moi ferait du déplaisir apporté par les objets offerts, seuls le plaisir de l’extérieur et le déplaisir de l’intérieur sont l’objet et le moteur des intro/pro-jections du moi, fondement de la constitution de l’objet.

La haine est rapportée à l’objet en tant qu’étranger, non ce qui reste étranger après incorporation. L’étranger est ce qui n’est pas encore passé sous la domination du principe de plaisir, ce qui n’est pas passé par le moi, par le crible du registre pulsionnel. Et ce registre se constitue en même temps que l’objet, et menace l’âme, conformément à l’idée de la pulsion comme ce qui ne peut être fui et qui menace l’équilibre[159]. La haine est ainsi bien liée à la récusation du monde extérieur comme producteur de stimulus, c’est-à-dire à l’être au monde lui-même. L’identification du caractère extérieur et du caractère haï de l’objet implique que les objets doivent être intériorisés par le moi, d’où l’idée possible que « l’excitation pulsionnelle devient interne »[160].

Remarquons que l’incorporation de l’objet est définie dans les trois essais sur la théorie sexuelle, en un ajout de 1915 qui suit l’introduction au narcissisme, comme « prototype de ce qui se jouera plus tard, en tant qu’identification, un rôle psychique tellement significatif »[161]. Cette conception de l’identification, fondamentale quant à la compréhension de la structuration des instances moïques et surmoïques notamment, repose sur ce que l’on peut appeler une métaphore : cette définition repose en effet sur le transport d’un acte en un fait de structure, en toute cohérence avec la description du développement du moi décrit dans l’article sur les pulsions, développement qui décrit la création de l’objet par le moi. La métaphore est ainsi un fait de structure du sujet humain, ce qui justifie qu’elle constitue un mode de présentation théorique.


Par ailleurs l’indétermination dans laquelle Freud laisse le caractère bon ou mauvais des « expériences vécues par les pulsions de conservation du moi », indétermination de la réception, par le moi, des objets du monde extérieur, est conforme à l’idée, maintenue par Freud, selon laquelle il n’existe pas, au départ, pour le moi, d’objet, départ qu’il convient de qualifier d’auto-érotique. Le « monde extérieur n’est alors pas investi d’intérêt (pour parler en général) »[162]. Cette parenthèse peut suggérer que, dans et pour le particulier, il y aurait de l’intérêt, c’est-à-dire de l’ « énergie psychique » ou de la « libido »[163] investi par le sujet, donc une circulation de montant d’affect propre à l’être au monde humain. Le maintien de la primauté de ce stade semble relever de l’exigence qui consiste à expliquer l’érogénéité, qui est le centre nodal autour duquel tourne la question de la dichotomie soma/psyché, et, à expliquer, du même coup, la nature du sexuel, une fois admis le caractère psycho-sexuel du concept de sexualité élaboré par la psychanalyse. Ce caractère spécifique est produit par les procès de la sexualité infantile, qui modèlent précisément l’érogénéité, comme fait et comme concept.

Mais si le caractère sexuel est donné par l’autre (la personne qui s’occupe de l’enfant « considère l’enfant lui-même avec des sentiments provenant de sa propre vie sexuelle »[164]), et si l’érogénéité est en son fond plaisir d’organe, c’est-à-dire plaisir, c’est à une tout autre détermination des premiers temps du psychisme humain que la théorie psychanalytique conduit, et, notamment, à introduire de l’autre dès avant ce que Freud nomme « le stade d’objet »[165].


Le « déplaisir » ne serait pour Freud, d’une part, qu’éventuel, d’autre part, lié, non à ce qui peut être qualifié de mauvais, mais à ce qui est « source de stimulus »[166], à ce qui dérange l’homéostase du principe de plaisir. Par ailleurs, de l’autre humain, le moi n’aurait pas, tout d’abord, une représentation globale[167]. C’est au moment de l’émergence de cette représentation que, selon Freud dans les Trois essais sur la théorie sexuelle, la pulsion sexuelle perd son objet, qui est localisé, notons-le, « en dehors du corps propre » : il ne s’agit pas du sein maternel, mais d’un objet localisé « dans le sein maternel »[168]. L’on pourrait dire que l’objet de l’auto-érotisme est déjà autre qu’un objet corporel, est déjà un objet symbolique.

Dans l’article sur les pulsions, Freud refuse de « mettre d’abord en discussion la relation entre auto-érotisme et narcissisme »[169]. Or, premièrement, tout de suite après, en ce qui regarde le plaisir-désir de regarder, ils sont identifiés. Deuxièmement, le texte sur le narcissisme a déjà élaboré la nécessité de la distinction entre un narcissisme primaire et un narcissisme secondaire[170], le second étant relatif à la possibilité de se représenter l’autre globalement, et il n’est pas question de cette distinction ici. Troisièmement, l’illustration de la définition de l’auto-érotisme qui suit cette absence de discussion, illustration qui concerne la pulsion de regarder et le sadisme, met à mal clairement cette définition, puisque, précisément, l’objet ne s’y efface pas au profit de l’organe, l’objet y est exigé.

L’auto-érotisme devrait ainsi, selon l’article sur les destins de pulsions, précéder le stade d’objet, alors qu’il existe bien un objet dès le départ selon les trois essais. Dans Le malaise dans la culture, au début de l’examen du sentiment océanique », Freud expose les caractéristiques du « moi primaire »[171], qui subsiste en plus ou moins grande part chez chacun : le développement du moi, décrit dans l’article sur les destins de pulsions, développement qui introduit l’objet, y est repris et prolongé sous l’influence de « l’expérience », expérience qui nous apprend la nécessité de l’abandon de l’objet dispensateur de plaisir et la fatalité des poussées internes et ce prolongement correspond aux jugements exposés dans La négation.

Deux choses sont à noter dans ce passage : Freud met tout d’abord en évidence les « sensations » que procurent au nourrisson les « organes du corps », ensuite, l’ « objet » qui se trouve « au dehors », tout deux entre guillemets dans le texte. L’existence de cet objet est posée comme la conséquence de la nécessité de son appel à la suite de son absence, donc de la frustration. Ces deux éléments sont décrits comme étant contemporains l’un de l’autre : l’opposition d’un objet au moi a lieu en même temps que les plaisir et déplaisir de source interne. Mais, comme le dit Freud, le moi n’est pas détaché de « la masse des sensations », détachement qu’accomplissent les jugements d’attribution : c’est dire que l’objet existe bien, pour l’enfant, il est loin de lui être indifférent, mais il n’existe pas comme objet.

Or, le cri, qui signe la non-indifférence de ce qui peut être absent, est l’objet de l’interprétation de l’autre, vis-à-vis duquel l’enfant est aussi objet de désir : et c’est cette absence de l’amour demandé par le cri, demande qui fait que « tout ce qui vient de la mère comme répondant à cet appel, est don, c’est-à-dire autre chose que l’objet »[172], c’est cette absence qui produit, selon Lacan, la nécessité de maintenir le stade « idéal »[173] de l’auto-érotisme. La mère comme objet total a la puissance d’accorder ou non les objets à l’enfant, objets qui sont alors symboles de l’amour ou de son désamour[174].

La mise en évidence, par Lacan, de l’idée selon laquelle « ce n’est pas la frustration de la jouissance qui engendre la réalité »[175] est l’occasion de la distinction entre la frustration de la jouissance et la frustration d’amour. La première est rapportée à l’objet limite du besoin, la seconde à l’objet qu’est l’autre primordial. Cela pose la question du rapport de la jouissance, ici identifiée à la satisfaction, et des sensations qui « restituent la façon dont se produit la maîtrise des stimuli »[176], tâche imposée au système nerveux par le principe de plaisir. En tout cas, cette distinction introduit également la position du réel à la limite de l’expérience.

Par ailleurs, cette distinction produit, d’abord, la dimension originale de l’image, ensuite, la subordination de la constitution de l’objet à l’ordre imaginaire, c’est-à-dire d’abord à l’image du corps[177]. Cet ordre est celui qui correspond notamment à l’émergence de la représentation globale de la personne. Cette subordination regarde directement notre questionnement initial quant aux conditions qui permettent que l’un soit l’objet du désir de l’autre, et des rapports de cette position de l’autre à l’amour, autrement dit, l’ordre imaginaire résout certaines des questions issues de la description par Freud du rapport initial de l’enfant au monde. Mais, si « la pulsion libidinale est centrée sur la fonction de l’imaginaire »[178]. L’on peut se demander ce qui, de la mère, dont l’absence et le refus du don la produisent comme objet, constitue ce qui, dans l’objet retrouvé, sera cherché et la nature du rapport de ce qui sera cherché et de l’image du corps. Quel est le rapport du phallus, comme déterminant de la fonction imaginaire et comme ce sur quoi est centrée la pulsion libidinale (n’oublions pas que l’objet de la pulsion sexuelle est d’abord, non le sein, mais « dans le sein »[179], conformément à ce que pointe Lacan comme essentiel : « la pointe du sein »[180]) et ce qui fait que l’un peut devenir l’objet du désir de l’autre ? En d’autres termes, qu’est-ce qui permet de mettre en relation les sensations de plaisir et l’amour dont l’autre primordial est d’abord l’objet de la demande ?




L’au-delà




C’est à bon droit, selon Lacan, d’abord, que le déplaisir issu de l’extérieur n’est pas pris en compte dans les mouvements intro/projectifs qui produisent les objets pour le moi dans la description du développement du moi dans l’article sur les pulsions. Car « il n’y aurait pas de surgissement des objets s’il n’y avait pas des objets bons pour moi » : c’est ainsi que Freud définit, selon Lacan, l’auto-érotisme. L’auto-érotisme signifierait ainsi, en son fond, simplement la domination du principe de plaisir. Ensuite, ce serait à bon droit qu’il n’y a pas trace de la pulsion dans la description, par Freud, de ce développement : la raison en est non seulement que « les objets du champ du Lustich sont aimables », mais que, surtout, le « niveau de l’Ich est non-pulsionnel »[181]. C’est dire aussi que l’amour relève en partie de l’ordre de l’imaginaire, qui est celui du moi.


Quant au premier point, nous pouvons remarquer que Lacan définit alors le champ de l’Unlust comme étant celui de « l’objet qui reste, comme étranger », ainsi que Freud caractérise la part du monde extérieur qui est le reste de l’acte d’introjecter[182] dans l’article sur les pulsions. Mais c’est également celui de l’ « objet bon à connaître »[183], l’objet haïssable. Comment conjoindre ces deux déterminations de l’objet, dont l’un présuppose le passage par le moi et l’autre le précède ? C’est aussi la question du traitement du jugement d’attribution par Lacan au sein de la conceptualisation de la Verwerfung : ce traitement du jugement d’attribution freudien permet à Lacan, comme nous l’avons vu, de fonder le « registre du réel ». En effet, si la chose « est jugée bonne la bouche l’avale, sinon elle est recrachée »[184] et ce rejet crée le réel comme extérieur. Il semble donc que ces deux déterminations du champ de l’Unlust révèlent les « deux sortes d’extériorité » qu’indiquent Janin et Ritter lors de la formation de la notion de Chose par Lacan : car, pour qu’une chose soit recrachée, il faut bien qu’elle soit passée par le moi, ce qui n’est pas le cas de ce qui est hostile et haï.

D’ailleurs, « Il n’y a pas de bon et de mauvais objet, il y a du bon et du mauvais, et puis il y a la Chose »[185]. La Chose est ainsi « le premier extérieur », qui ne relève pas de ce qui « de l’objet, est qualité », l’ « Autre absolu du sujet » dans l’expérience, par l’enfant, du Nebenmensch, c’est-à-dire de la mère. Il n’y a pas d’indépendance entre ces deux ordres, le bon et le mauvais d’un côté, la Chose de l’autre : leur corrélation est le ressort fondamental du désir humain, comme visant l’impossible, ressort qui est la loi symbolique de l’interdit de l’inceste, la jouissance tuant le plaisir[186]. Car la fonction du principe de plaisir, qui se rapporte au registre du bon et du mauvais, fait que l’homme « cherche toujours ce qu’il doit retrouver, mais ce qu’il ne saurait atteindre »[187] : quel est alors le rapport entre le réel recraché et le premier réel ?


Quant au deuxième point, on peut dire que le premier extérieur est ce qui oriente, en référence au jugement d’existence, le désir du sujet, qui ne retrouvera jamais que « les coordonnées de plaisir »[188] de la Chose. L’on peut se demander si ces coordonnées rendent raison de l’amour ou du plaisir, du moi ou de la pulsion, et comment elles sont liées aux signifiants apportés par l’autre.

L’articulation lacanienne des pulsions à la Chose[189], articulation qui fait des pulsions le facteur de l’impossibilité de l’harmonie de l’objet au sujet, est destinée, à se transformer ultérieurement en articulation des pulsions à l’objet a[190]. Or, cet objet, s’il est la seule invention lacanienne selon son auteur, exige malgré tout d’être articulé, d’une manière ou d’une autre, dans ses conditions de possibilité tout au moins, avec le texte freudien, sans quoi il faudrait scinder irremediablement l’histoire de leurs discours.

Si « Le bon et le mauvais entrent déjà dans l’ordre de la Vostellung »[191], c’est au niveau du moi, non du sujet : c’est pourquoi les représentances de représentations, délégués de la pulsion dans le psychisme tout autant que le montant d’affect, tels qu’ils sont présentés dans l’article sur le refoulement, ne relèvent pas de manière univoque de l’ordre du symbolique. En effet, Lacan distingue les Wortvorstellungen, dont le niveau est le lieu de la Verneinung, des Vorstellungensrepräsentanzen, dont le niveau est le lieu de la Verdrängung[192], refoulement qui est l’objet de l’article dont Freud pense que l’objet en exige la double détermination de la pulsion.

Duquel de ces niveaux relèvent les coordonnées de plaisir qui signent la duplicité du rapport à l’autre comme objet de désir et/ou d’amour et qu’est-ce que fait la mise en rapport de ces deux objets ? Car si l’amour relève du moi, donc de l’imaginaire, si la jouissance est ce qui est visé par la pulsion en tant qu’elle est orientée par la Chose, jouissance qui tue le plaisir, et si le seul rapport réciproque est celui des rapports par lesquels le moi et l’autre ont une position équivalente et réciproque, c’est dire, par exemple, que le sado-masochisme constituerait le seul rapport imaginaire à l’autre achevé et harmonique. Comment penser alors les conditions du plaisir-désir génital de l’un par l’autre ?

Si ce qui « est ainsi défini au niveau de l’Ich ne prend valeur sexuelle » qu’en fonction de sa saisie « par une des pulsions partielles »[193], alors l’on peut comprendre que les pulsions « telles qu’elles se présentent dans le procès de la réalité psychique, sont des pulsions partielles »[194], ce qui était notre point de départ. L’on peut comprendre que, de la première proposition, la seconde puisse s’en déduire, mais qu’une pulsion doive se saisir de ce qui est défini au niveau du moi est loin, là où nous en sommes de l’investigation de la construction de la notion de pulsion par Freud, d’en expliquer les caractères énigmatiques : comment la pulsion pourrait-elle être dite le sujet du saisissement de quoi que ce soit, sauf à faire image, là où le nœud théorique devrait se dénouer ? Entre le niveau du moi, niveau dont relève en effet l’amour dans l’article sur les destins de pulsions, et le niveau de la pulsion, s’immisce le sujet lacanien, qui se distingue absolument du premier niveau et qui « commence au lieu de l’Autre, en tant que là surgit le premier signifiant »[195].

Désireux que nous sommes de voir plus clair dans le traitement que réserve Lacan à la dichotomie soma/psyché que met en question déjà par lui-même l’article freudien, désir qui implique en l’occurrence le passage par le souci de spécifier comment interagissent dans la construction freudienne les registres du pulsionnel et du psychique, l’immixtion fondamentale du sujet dans la pensée des pulsions nous conduit aux deux questions suivantes : En quel sens le lieu de l’Autre relève-t-il de l’ordre psychique ? Le lieu de l’Autre permet-il, et comment, la réunion du psychique et du somatique ?


[1] Pulsions…, p. 173. [2] « La pulsion dans les écrits terminaux de Freud », l’analyse avec fin et l’analyse sans fin, Bayard Editions, p. 188. [3] Ibid, p. 198. [4] Filiations, Tel Gallimard, p. 192. [5] L’analyse avec fin et l’analyse sans fin,, p. 52. [6] Pulsions…, p. 173. [7] P. 172. [8] La négation, OC XVII, p. 167. [9] « La dynamique du transfert », in La technique psychanalytique, Puf, p. 52. [10] Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p. 148. [11] La pensée et le féminin, W. Granoff, p. 36. [12] Un commencement qui n’en finit pas, Seuil, p. 29. [13] Ibid, p. 23. [14] « La pulsion et son objet source », Jean Laplanche, La question pour quoi faire, APF, p. 23. [15] Pulsions…, p. 187. [16] P. 182. [17] P. 168. [18] P. 171. [19] P. 166. [20] P. 181. [21] P. 166. [22] P. 167. [23] P. 169. [24] Trois essais…, ed citée, p. 90. [25] Ibid, p. 148, note a. [26] P. 147. [27] Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p. 163. [28] Trois essais…, p. 90. [29] Pulsions…, p. 167. [30] Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse , p. 153. [31] Le refoulement, ed cit, p. 192. [32] Pulsions…, p. 167. [33] Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse , p. 150. [34] La pulsion pour quoi faire, ed cit, p. 70. [35] Ibid, p. 75. [36] Ibid, p. 74. [37] « Entretien avec Octave Mannoni », Danielle Eleb, Figures de la psychanalyse n° 9, Eres, p. 147. [38] La pensée et le féminin, Champs Flammarion, p. 30 et 36. [39] Pulsions…, p. 181. [40] Ibid, p. 185. [41] « L’Analyse et son reste, le testament de Freud », in Comment finissent les analyses, AMP, Seuil, p. 58. [42] Ibid. [43] Ibid. [44] Le refoulement, p. 191. [45] Ibid, p. 192. [46] Qu’il est justifié de séparer de la neurasthénie un certain complexe symptomatique sous le nom de « névrose d’angoisse », in Névrose, psychose et perversion, Puf, p. 23 à 38. [47] « il n’y a pas d’état originel ni d’état de pur besoin », Le Séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, p. 218. [48] Qu’il est justifié…, p. 25. [49] La sexualité dans l’étiologie des névroses, in Résultats, idées, problèmes I, Puf, p. 88. [50] P. 149. [51] Le refoulement, p. 191. [52] Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p.152. [53] Qu’il est justifié…, p. 26. [54] Trois essais…, p. 148. [55] Pulsions…, p. 176. [56] Le Séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, p. 237. [57] A propos de la psychanalyse dite « sauvage », in La technique psychanalytique, Puf, p. 37. [58] Introduction à la psychanalyse, Payot, p. 346. [59] Le Séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, p. 337. [60] Qu’il est justifié…, p. 31. [61] Pulsions…, p. 169. [62] Ibid, p. 181. [63] Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle, p. 207. [64] Qu’il est justifié…, p. 31. [65] « l’excitation sexuelle somatique, une fois qu’elle a atteint la valeur du seuil, se transforme continuellement en excitation psychique », ibid, p. 32. [66] Ibid. [67] Pulsions…, p. 169. [68] Pulsions…, p. 170. [69] « toute l’excitation somatique existante » doit être supprimée, Qu’il est justifié…, p. 32. [70] Pulsions…, p. 167. [71] L’œuvre du temps en psychanalyse, p. 45. [72] De même que le rapport du « plaisir-déplaisir » et des « fluctuations dans les grandeurs de stimulus » ne regarde pas le traité des pulsions, Pulsions…, p. 169. [73]Le Poulichet, éd. cit., p. 46. [74] Qu’il est justifié…, p. 32. [75] La pulsion pour quoi faire, éd. cit., p. 71. [76] Le malaise dans la culture, p. 292, note 2. [77] Le refoulement, éd. cit., p. 193. [78] Le psychanalyste pendant la séance, Puf, p. 117. [79] Pulsions…, p. 167. [80] Angoisse et vie pulsionnelle, in Nouvelle suite des leçons d’introduction à la psychanalyse, OC XIX, p. 178. [81] Pulsions…, p. 170. [82] Angoisse et vie pulsionnelle, p. 179. [83] Ibid, p.178. [84] Pulsions…, p. 165. [85] La psychanalytique pendant la séance, p. 122. [86] Cf l’histoire de l’analyse de Lacan avec Loewenstein par Miller, Le psychanalyste pendant la séance, p. 129. [87] La pensée et le féminin, W. Granoff, p. 24. [88] Le psychanalyste…, p. 122 à 124. [89] Par exemple afin d’expliquer le délire, Le Séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, p. 228. [90] La pulsion pour quoi faire, p. 28. [91] Le Séminaire, Livre I, Les écrits techniques de Freud, p. 163. [92] Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p. 172. [93] La pensée et le féminin, Wladimir Granoff, p. 13. [94] Quartier Lacan, Denoël, p.61 et 52. [95] La pensée et le féminin, p. 16. [96] Le refoulement, p. 197. [97] Ibid : son destin « est de loin plus important que celui de la représentation », voir La négation : une « admission intellectuelle du refoulé » n’empêche pas la persistance de « ce qui est essentiel dans le refoulement », p. 168. [98] Qu’il est justifié…, p. 35. [99] Le refoulement, p. 193. [100] Malaise dans la culture, p. 292, note 2. [101] L’analyse avec fin et l’analyse sans fin, p. 63. [102] La pulsion pour quoi faire, p. 28. [103] Ibid, p. 20. [104] Qu’il est justifié…, p. 32. [105] Le Séminaire, Livre VIII, Le transfert, p. 243 pour la demande orale, p. 247 pour la demande anale. [106] Pulsions…, p. 173. [107] « Quant à savoir si tous les plaisirs procurés par les organes doivent être qualifiés de sexuels ou s’il y a, à côté du plaisir sexuel, un plaisir d’une nature différente – c’est là une question que je ne puis discuter ici. Je sais peu de chose sur le plaisir procuré par les organes et sur ses conditions, et il n’y a rien d’étonnant si notre analyse régressive aboutit en dernier lieu à des facteurs encore indéfinissables », Introduction à la psychanalyse, p. 350. [108] Qu’il est justifié…, p. 32. [109] « L’objet entre pulsion et instinct », Laplanche, in L’objet, la réalité, p. 22. [110] Sur le plus général des rabaissements de la vie amoureuse, in La vie sexuelle, Puf, p. 60. [111] Tout le plaisir est pour moi, p. 47. [112] Mes vues sur le rôle de la sexualité dans l’étiologie des névroses, in Résultats, Idées, Problèmes I, Puf, p. 120. [113] La pulsion pour quoi faire, p. 44 et 48. [114] Ce à quoi Lacan répondrait que, du côté de l’analyste, côté qui est la perspective critique de Miller, le désir de l’analyste est « plus fort que les désirs…d’en venir au fait avec son patient, de la prendre dans ses bras, ou de le passer par la fenêtre », Le Séminaire, Livre VIII, Le transfert, p. 225. [115] Pulsions…, p. 169. [116] Le refoulement, p. 197. [117] Qu’il est justifié…, p. 32. [118] Le moi et le ça, OC XVI, p. 279. [119] Le refoulement, p. 193. [120] Pour introduire le narcissisme, in La vie sexuelle, p. 87. [121] Le malaise dans la culture, p. 304. [122] Pour introduire le narcissisme, p. 88. [123] Le malaise dans la culture, p. 304. [124] Le Séminaire, Livre IV, La relation d’objet, p. 48. [125] Le psychanalyste pendant la séance, Miller, p.88. [126] Ibid. p. 133. [127] Ibid, p. 132. [128] Ibid, p. 136. [129] Ibid, p. 135. [130] Le psychanalyste…, p. 137. [131] Le Séminaire, Livre I, Les écrits techniques de Freud, p. 69. [132] Réponse au commentaire de Jean Hyppolite, in Ecrits, Seuil, p. 383. [133] Le Séminaire, Livre III, Les Psychoses, p. 96. [134] Le Séminaire, Livre III, Les psychoses, p. 228. [135] Le Séminaire, Livre I, Les écrits techniques de Freud, p. 53. [136] Ibid, p. 52. [137] Le Séminaire, Livre III, Les Psychoses, p. 156. [138] L’absolu littéraire, Théorie de la littérature du romantisme allemand, Ph. Lacoue-Labarthe, J.-L. Nancy, Seuil, p. 435. [139] Un commencement qui n’en finit pas, p. 31. [140] « Le patient peut demander tout à fait ostensiblement à l’analyste de satisfaire ses pulsions sadiques actives ou passives et réagir à une frustration dans ce sens par un retour des symptômes », Puf, p. 99. [141] La théorie comme fiction, Maud Mannoni, Seuil points essais, p. 46 et 47. [142] Le psychanalyste pendant la séance, p. 120. [143] La pulsion pour quoi faire, p. 48. [144] Le psychanalyste…, p. 123. [145] définie dans le Séminaire, Livre III, Les Psychoses. [146] La théorie comme fiction, M. Mannoni, p. 47. [147] Le Séminaire, Livre IV, La relation d’objet, p. 46. [148] La pulsion pour quoi faire, p. 27. [149] La négation, OC XVII, p. 168. [150] « la transformation de la pulsion…ne s’opère à vrai dire jamais sur le montant total de la motion pulsionnelle », Pulsions…, p. 177. [151] La négation, p. 170. [152] Pulsions…, p. 182-183. [153] « Rien ne nous indique que le retranchement primitif ait été fait de façon propre », le Séminaire, Livre III, Les Psychoses, p. 96. [154] Le Séminaire, Livre I, Les Ecrits techniques de Freud, p. 100. [155] La négation, p. 168. [156] Le refoulement, p. 199. [157] Pulsions…, p. 185. [158] Ibid, p. 186. [159] L’opposition ente les stimuli externes et les stimuli pulsionnels « reste avant tout souveraine dans l’exercice de l’activité intellectuelle et crée pour la recherche la situation fondamentale qu’aucun effort ne saurait modifier », Ibid, p. 181. [160] La pulsion pour quoi faire, Jean Laplanche, p. 28. [161] P. 134. [162] Pulsions…, p. 182. [163] Le refoulement, p. 197. [164] Trois essais…, p. 160. [165] Pulsions…, p. 183. [166] Pulsions…, p. 182. [167]Mais, comme le note Lacan, « Il est certain qu’un objet peut commencer d’exercer son influence dans les relations du sujet bien avant d’avoir été perçu comme objet », Le Séminaire, Livre IV, La relation d’objet, p. 66. [168] P. 160. [169] Pulsions…, p. 178. [170]Mais, comme le note Lacan, « il n’existe pas dès le début, dans l’individu, une unité comparable au moi », Introduction au narcissisme, p. 84. [171] P. 252-253. [172] Le Séminaire, Livre IV, La relation d’objet, p. 125 [173] Ibid, p. 126. [174] Ibid, p. 68. [175] Ibid, 125. [176] Pulsions…, p. 169. [177] La loi symbolique donnée par Mélanie Klein au petit Dick détermine « une position initiale à partir de laquelle le sujet peut faire jouer l’imaginaire et le réel et conquérir son développement », Le Séminaire, Livre I, Les écrits techniques de Freud, p. 100. [178] Ibid, p. 141. [179] Trois essais…, p. 160. [180] Le Séminaire, Livre IV, La relation d’objet, p. 126. [181] Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p. 174. [182] Pulsions…, p. 183. [183] Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p. 174. [184] La jouissance au fil de l’enseignement de Lacan, Jean-Marie Jadin et Marcel Ritter, Erès, p. 113 et 114. [185] Le Séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse, p. 78. [186] « A partir du moment où quelque chose de l’ordre de la jouissance survient, il n’y a plus d’érogénéité possible. Il n’y a plus de plaisir possible (par exemple : le caractère ineffable des expériences incestueuses », commentaire du Livre XIV du Séminaire, La logique du fantasme, La jouissance au fil…, p. 205. [187] Le Séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse,, p. 83. [188] Ibid, p. 65. [189] Ibid, p. 131. [190] La jouissance au fil…, p. 91. [191] Le Séminaire, livre VII, L’éthique de la psychanalyse, p. 78. [192] Ibid. [193] Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p. 174. [194] Ibid, p. 174. [195] Ibid, p. 180.

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